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À la fin des terres, Notre-Dame du Bout-du-Monde

NOTRE DAME DU BOUT DU MONDE
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Anne Bernet - publié le 16/07/23
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À la Pointe Saint-Mathieu, au bout du bout de la Bretagne et de la "fin des terres", la ville d’origine a disparu. Seule Notre-Dame du Bout-du-Monde survit aux aléas de l’histoire et veille sur les marins livrés au péril de la mer.

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Il n’y a pas que dans les films catastrophes et dans les légendes que des villes disparaissent sans laisser de traces ou presque. Même pas besoin pour cela d’une éruption volcanique cataclysmique, d’un séisme, d’un raz-de-marée, d’une avalanche. La fureur humaine et la guerre suffisent amplement à rayer de la carte une cité jadis prospère, si bien anéantie que ses survivants renonceront à la reconstruire. Ainsi la chapelle de Notre-Dame du Bout-du-Monde, Ar Itron Varia ar Pen ar Bed en breton, est-elle le dernier vestige de la petite ville de Saint-Mathieu, au bout de la pointe du même nom dominant l’Atlantique, dont elle a jadis été la paroisse.

La ville disparue

À en croire la légende fondatrice de l’abbaye Saint-Mathieu, celle-ci aurait été bâtie au VIIe siècle par saint Tanguy, qui en devint abbé, afin d’expier le meurtre fratricide de sa jeune sœur Aude. Les historiens ricanent un peu lorsqu’ils entendent cette version qu’ils tiennent, faute de documents probants, pour infondée. À les en croire, le monastère, qui accueillit des reliques de l’apôtre et évangéliste Mathieu, ne serait pas si vieux. Au vrai, peu importe la date réelle de sa fondation. Ce qui est certain, c’est qu’un pèlerinage florissant s’est développé sur cette pointe extrême de la Bretagne et qu’il a entraîné, afin de loger et nourrir les pèlerins, la construction d’une ville appelée elle aussi Saint-Mathieu qui a compté jusqu’à trente-six rues dont le tracé reste repérable.

À s’en fier toujours aux traditions, le monastère et donc le gros bourg qui a suivi, ont pris place à côté d’un sanctuaire marial bien plus ancien, Sancta Maria finis terrae, Notre-Dame de la Fin-des-Terres, ou du Bout-du-Monde comme disent les Bretons, rebaptisée ensuite, lorsqu’elle est devenue la paroisse du bourg, Notre-Dame de Grâce, appellation plus classique, certes, mais qui n’a jamais vraiment supplanté l’ancienne. Preuve de la prospérité du lieu, les architectes ont fait venir d’Anjou un tuffeau qui a partiellement servi à la construction du bâtiment et entraîné l’installation sur place de carriers angevins. Un beau portail gothique finit, au XIVe siècle, d’ennoblir l’ensemble. Au début du XVIe siècle, une statue de la Vierge vient compléter l’ensemble et rappeler qu’Elle est la Dame de l’endroit et la protectrice de la paroisse.

Les corps des hommes péris en mer

Tout va basculer, hélas, lorsqu’en 1558 une attaque de la flotte anglaise sur les défenses de la pointe Saint-Mathieu endommage l’abbaye et rase la petite ville, exceptée l’église, épargnée par les boulets. Alors même que Saint-Mathieu disparaît, et que l’abbaye commence à son tour à péricliter, Notre-Dame survit et conserve son statut de paroisse, sans doute parce qu’elle tend, en raison de son emplacement privilégié face à l’océan, à devenir un sanctuaire marin, son cimetière accueillant souvent les corps des hommes péris en mer, pêcheurs des environs comme marins au long cours qui ont fait naufrage dans ces parages, parmi les plus dangereux du globe. C’est ainsi qui sont inhumés, entre autres, les hommes de la gabarre Dorothée, sombrée en 1768, et ceux d’une frégate espagnole de Cadix, perdue corps et biens en 1780. L’on vient donc ici prier pour ceux qui sont au loin, livrés au péril de la mer, afin qu’ils reviennent à bon port, et pour ceux, hélas, qui ne reviendront plus.

La Révolution marque l’abandon définitif de l’abbaye qui, à l’instar de la plupart des communautés masculines contemplatives, n’a cessé de décliner tout au long du XVIIIe siècle. Elle sera bientôt transformée en carrière à ciel ouvert, avant que l’on abatte ses chapelles et absidioles afin de construire le phare. 

L’hospitalité pour sainte Thérèse

Notre-Dame du Bout-du-Monde reste à l’abandon, et, dans l’âpre climat finistérien, battue de vents et d’embruns, la chapelle semble vouée à son tour à une disparition prochaine. Pourtant, ce ne sera pas le cas puisque, en 1861, il est décidé de la rebâtir et, très vite, de la rouvrir au culte. Initiative moins heureuse, mais conforme aux goûts de l’époque, la belle statue de Notre-Dame de Grâce, jugée démodée par un clergé artistiquement peu éclairé, est confiée à l’église Saint-Gwenael, la paroisse la plus proche, et remplacée par une Immaculée Conception sulpicienne sans intérêt. D’autres statues modernes d’un meilleur effet, représentant sainte Anne enseignant à lire à Marie, saint Mathieu, le calame et le rouleau de son évangile dans les mains, saint Tanguy, le premier abbé supposé et sa cadette et victime, sainte Aude, complètent le mobilier.

La statue en plâtre de sainte Thérèse de Lisieux qui voisine avec elle peut sembler, de prime abord, décalée et de mauvais goût, mais uniquement aux yeux de ceux qui ne connaissent pas son histoire. Il s’agit en effet d’une rapatriée d’Algérie, rapportée en 1962 de Mers el-Kébir, la grande base navale qui vit, en juillet 1940, la destruction totale par la marine britannique de l’escadre française amarrée dans la rade. La plupart des très nombreux matelots, quartiers-maîtres et officiers surpris à leur bord, à l’heure du déjeuner et de la sieste estivale de ce dimanche apparemment tranquille, qui périront dans cette attaque sanglante étaient bretons. C’est en leur mémoire qu’une stèle a été élevée à proximité de la chapelle marine et que la sainte Thérèse de la paroisse de Mers el-Kébir devant laquelle nombre de victimes ont dû prier, a reçu l’hospitalité de Notre-Dame du Bout-du-Monde.

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