Dans l’église Saint-Eustache, certaines familles disposaient de chapelle privées, le long de la nef ou du déambulatoire. La famille de Morville en faisait partie. Quand il a fallu choisir à quel saint elle allait être consacrée, la famille n’a pas longtemps hésité : le prénom Jean-Baptiste étant fréquent parmi ses membres, leur saint patron allait donner son nom à la chapelle. Pour l’orner, il est décidé de commander une peinture de près de deux mètres. Le sujet sera donc quasiment de grandeur nature.
Le peintre François Lemoine (on trouve aussi son nom sous la forme Lemoyne), déjà connu pour ses grandes peintures religieuses, est choisi en 1726. Dès l’année suivante, l’artiste gagne le concours de meilleur peintre d’histoire par l’Administration royale. Les portes de Versailles lui sont ouvertes, c’est la consécration. Mais Lemoine n’est pas étourdi par son succès. Il travaille à son saint Jean-Baptiste. Comme prévu, le tableau est livré et installé dans l’église Saint-Eustache.
Quand le vent de l’histoire vient toucher l’art
L’histoire aurait pu s’arrêter là : le tableau serait resté tranquillement à sa place, ne sortant que pour les expositions, car l’œuvre est de grande qualité, ou pour des restaurations. Mais ce serait sans compter sans les bouleversements introduits par la Révolution française.
Le saint Jean-Baptiste est décroché en 1794, il quitte la majestueuse église qui l’abritait depuis près de 70 ans. Les moines du couvent des Petits Augustins (actuelle école des beaux-arts) avaient été expropriés. Transformé en dépôt des Petits-Augustins, le lieu abrite le musée des monuments français, destiné à recueillir des œuvres sauvées des massacres révolutionnaires. Saint Jean-Baptiste y est envoyé. Il y passera près de vingt ans est n’est rendu à l’église Saint-Eustache qu’en 1812.
Son état aurait alors eu bien besoin d’interventions, mais il aura fallu attendre plus de cent ans pour qu’un délicat rentoilage soit mené à bien. Il y a quelques années, une restauration avant une grande exposition au Petit Palais lui a rendu ses lumineuses couleurs d’origine. Un voyage, sans risque, qui aura certainement fait beaucoup pour mettre en valeur ce chef-d’œuvre, dont la représentation n’est pas traditionnelle.
Un Jean-Baptiste adolescent, dans un désert peu désertique
Loin d’un saint Jean-Baptiste mûr, au visage émacié, amaigri par les privations, le peintre lui a donné les traits d’un adolescent assis sur un rocher, dans un désert bien éloigné de ce qu’on pourrait imaginer. L’eau d’un ruisseau apporte la vie à une nature luxuriante, le feuillage de hauts arbres permet un jeu d’ombre et de lumière.
Le saint reste reconnaissable aux attributs qui l’accompagnent fréquemment : une houlette de roseau en forme de croix et un agneau à ses pieds.