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S’arracher aux mondanités parasitaires

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"La reception" Une soiree mondaine dans la societe parisienne de la Belle Epoque. Peinture de Jean Beraud (1849-1935) XXe siècle. Collection particulière.

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Henri Quantin - publié le 24/05/23
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C’était une observation de Maritain : même chez les catholiques, l’esprit du monde parasite les discussions. Pour rendre témoignage au milieu du monde, en déduit l’écrivain Henri Quantin, il faut parfois assumer une certaine solitude, y compris parmi les siens.

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"Rétrécissement d’esprit." C’est ce que Jacques et Raïssa Maritain remarquaient dans certains milieux catholiques pourtant fervents. Sans doute leur amour de la vérité, comme leurs liens successifs avec Bergson, Péguy et Bloy, les rendaient-ils particulièrement sensibles à tout ce qui mène à figer le jugement, à jeter l’anathème sans examen, à confondre la mièvrerie et la beauté, à vénérer un peu vite une figure catholique à la mode… Dans une lettre à Raïssa du 31 août 1931, Jacques met en avant la nécessité pour eux de passer au crible de leur vocation de "mystiques en pleine bataille" leurs multiples relations "avec le “monde clérical". Maritain aspire à un moment de recueillement "nous permettant de voir les choses de haut, dans une lumière plus pure". Cela consisterait à se placer "en face de l’essentiel au point de vue intérieur, par rapport à Dieu". 

Autour de cet essentiel solidement établi, "les choses se distribueront progressivement […] comme autour d’un centre de cristallisation". Et il ajoute : "Cet essentiel est d’abord l’amour et sa liberté. Et pour nous je pense qu’il s’agit de lui rendre témoignage au milieu du monde. Mais en s’arrachant de toutes les formations mondaines parasitaires ; et c’est le degré de profondeur de cet arrachement qui est difficile à apprécier." Autrement dit, Maritain était pleinement conscient que l’esprit du monde est tout autant à l’œuvre dans certaines discussions entre catholiques qu’ailleurs.

Complicité culturelle

Un des aspects de cette mondanité est une sorte de supposée complicité culturelle, qui relève nettement plus de la sociologie que de la théologie. Ainsi de l’insupportable "nos valeurs", parfois même dépourvu du possessif, tant il semble aller de soi que "les valeurs" sont les nôtres. La formule, certes, est sur le déclin, mais son esprit rétréci demeure. Selon les lieux, du fait même que vous êtes catholique, vous êtes d’avance supposé avoir lu et adoré le dernier livre de tel auteur à succès racontant sa conversion,  communier dans un enthousiasme de midinette pour tel groupe de pop-louange, savoir ce que signifient les lettres qui composent l’acronyme de telle association défendant la vie, connaître et fréquenter régulièrement tel site Internet (quand ce n’est pas l’abréviation forgée par ses adeptes), recevoir comme parole d’Évangile chaque phrase de tel philosophe jugé doctrinalement sûr…

Maritain fit d’ailleurs lui-même les frais de cette hâte à créer des maîtres à penser ou des vedettes "vues à la TV catho". D’un moine de la Valsainte, Raïssa fait un compliment qui en dit long sur beaucoup d’autres ecclésiastiques : "Il est un des très rares qui voient toi en toi et non seulement ton œuvre."

Être perçu comme un infidèle, à la fois par ceux qui font de l’Église un parti ou un microcosme social et par ceux qui fondent notamment leur entente sur le mépris des catholiques, est sans doute inévitable, quand on veut "rendre témoignage au milieu du monde"

La supposée culture commune étend bien sûr la complicité forcée au rejet des ennemis. Comme catholique, il va de soi, encore selon les lieux, que vous ricanez de l’art "moderne", des instituteurs socialistes, d’un prix Nobel dont personne n’a lu une ligne, de la dernière déclaration du pape François, de la messe en latin et des "tradis" de toute sorte.    

Une espèce de solitude

Maritain, qui ne renonça jamais à chercher la beauté et la vérité hors des sentiers ecclésialement balisés, résume avec force le fossé qui le sépare des catholiques dont la foi rétrécit paradoxalement l’esprit : "La conscience souffre de plus en plus cruellement de cette situation où l’on vit (parce qu’on est en accord “religieux” avec eux) en apparent accord “culturel” avec des gens dont, sauf le baptême et la foi, tout vous devient étranger." Bien entendu, le catholique comme Maritain qui tente de ne pas envoyer les artistes au diable, vit une seconde solitude : dans le milieu culturel, son baptême et sa foi le rendent étranger à ceux qu’ils rencontrent.

Être perçu comme un infidèle, à la fois par ceux qui font de l’Église un parti ou un microcosme social et par ceux qui fondent notamment leur entente sur le mépris des catholiques, est sans doute inévitable, quand on veut "rendre témoignage au milieu du monde". À Raïssa, Maritain parlait ainsi de "l’espèce de solitude où je sens que nous entrerons de plus en plus". La chose ne pouvait entièrement l’étonner, lui que son parrain Léon Bloy avait prévenu : "Plus on s’approche de Dieu, plus on est seul." Cela vaut sûrement aussi pour la solitude culturelle.

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