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L’apprentissage de la lecture, une cause fédératrice

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Jeanne Larghero - publié le 19/05/23
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L’apprentissage de la lecture n’est pas que l’affaire de l’école, il est aussi l’affaire des parents, souvent plus lucides et efficaces que les enseignants. Pour la philosophe Jeanne Larghero, la lecture est en réalité l’affaire de toute la société qui engage avec elle son avenir.

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On suppose que plus de deux millions d’années séparent l'apparition de l’homme sur Terre de l’invention de l’écriture : on devrait alors s’étonne​r que quelques années seulement suffisent à nos enfants pour apprendre à déchiffrer une figure, à la traduire en son, et à lui donner du sens ! C’est un effort mental prodigieux, et dont la récompense immédiate est telle que nous oublions vite les peines de l’apprentissage. Mais il semble que depuis quelques décennies cet effort soit devenu insurmontable, au point que l’apprentissage de la lecture est désormais considéré comme un problème de société.

Pente descendante

Ainsi, après quinze ans de baisse continue, les médiocres performances en lecture des élèves français de CM1 se sont… stabilisées. La dernière étude PIRLS (Progress in International Reading Literacy Study) a été réalisée en 2016 par l’IEA, une association internationale à but non lucratif. Les résultats actuels des écoliers français (514 points) attestent d’un niveau de lecture et de compréhension encore inférieur au niveau européen (527 points). 

La première étude a été menée en 2001. Depuis, les petits CM1 ont grandi, et sont allés garnir les bancs des lycées et des facultés. Malheureusement, il faut s’attendre à ce que le niveau de lecture, de compréhension et donc d’expression écrite et de syntaxe des bacheliers et des jeunes étudiants poursuive encore pendant quelque temps sa pente descendante.

À ce sujet, nombreux sont les correcteurs au baccalauréat, les enseignants en études supérieures, les cadres en ressources humaines, à tirer la sonnette d’alarme. Phrases interminables et incompréhensibles, propos sans aucune ponctuation et émaillés de fautes d’orthographe, noms conjugués comme des verbes eux-mêmes​ dépourvus de sujet, difficultés à comprendre de simples consignes écrites ou orales : le sentiment d’incrédulité, d’échec et d’impuissance est désormais partagé. 

La lucidité des parents

On connaît les raisons de ce niveau médiocre : les avatars de la méthode globale, l’appauvrissement du niveau de langue de la littérature jeunesse, le manque de formation homogène des enseignants, les sureffectifs scolaires, le tout-écran, les inégalités sociales… tous les acteurs se renvoient la balle. Mais on sait par ailleurs la lucidité des parents sur ce problème de la lecture : un nombre considérable de parents et grands-parents avertis décident de pallier aux insuffisances (supposées ou avérées) de l’école en apprenant eux-mêmes à lire à leurs enfants. Ainsi, la meilleure vente du secteur parascolaire des éditions Belin est réalisée par l'indétrônable méthode Boscher, méthode exclusivement syllabique et progressive datant de… 1903 ! 50.000 exemplaires sont réédités chaque année, et en dépit des illustrations surannées, du vocabulaire parfois peu usité, les exemplaires circulent comme autant de secrets bien gardés. 

Que peut un enseignant face à des familles où se trouve plus d’écrans que de têtes de pipe, où les tablettes dans les mains ont remplacé la table à manger où l’on s’écoute et se parle ?

Tout ceci révèle ce qui n’est plus un secret : l’apprentissage de la lecture n’est pas que l’affaire de l’école et des enseignants, il est aussi l’affaire des parents, il est en réalité l’affaire de toute une société. Aux enseignants d’explorer les méthodes pédagogiques qui marchent ou qui ont fait leurs preuves : pourquoi les meilleurs résultats à Singapour et dans les pays nordiques ? Comment font-ils ? Pourquoi les parents dont ce n’est pas le métier arrivent-ils à faire déchiffrer et comprendre leurs enfants en quelques semaines ? Aux parents de ne pas se reposer uniquement sur l’école : que peut un enseignant face à des familles où se trouve plus d’écrans que de têtes de pipe, où les tablettes dans les mains ont remplacé la table à manger où l’on s’écoute et se parle ?

Une cause unanime

En réalité, la question de l’apprentissage de la lecture n’est pas à prendre comme un sujet clivant où tous se renvoient dos à dos les accusations d’incompétence. C’est une cause extrêmement fédératrice, qui met les adultes au service des enfants, qui met une société au service de ses futurs étudiants, de ses futurs citoyens. Faire de la lecture, voie d’accès à la connaissance et à l’émancipation, une cause unanime est le meilleur service qu’une société puisse se rendre à elle-même. 

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