Livre étrange de Sonia Mabrouk. Si cette brillante journaliste était née dans la foi catholique, sans doute aurait-elle tenu des propos sévères sur la trahison des clercs. La mélopée joyeusement réactionnaire que les jeunes catholiques de France chantent volontiers contre la capitulation des chrétiens face aux fausses valeurs du monde, elle l'aurait entonnée avec talent. Mais Sonia Mabrouk est musulmane.
Elle est née à Tunis dans un milieu intellectuel ouvert au monde à la fois et sûr de son identité, capable d'assumer sans complexe les racines de l'islam, l'héritage du protectorat français et la diversité du monde. Elle cherche la convergence entre les hommes par la face nord de la volonté spirituelle. Elle ne croit qu'à la fraternité des cimes. Dans son dernier livre, elle supplie la chrétienté de n'avoir pas honte d'elle-même. Elle plaide pour un retour du sacré, alternative selon elle à la barbarie. C'est dire combien cette jeune femme aura à se faire pardonner par les bien-pensants de tous bords.
Provocant et inclassable
Reconquérir le sacré (Éd. de l’Observatoire) est un livre provoquant et inclassable qui tente de nous faire comprendre combien la perte du sacré peut entraîner la mort de la part civilisée de l'homme. Sonia Mabrouk y dénonce le désenchantement du monde. Air déjà entendu, certes, et qu'elle pianote joliment. Mais elle complète la partition en s'adressant particulièrement à nous, catholiques d'Occident, ou du moins à la part du catholique honteux que chacun de nous porte plus ou moins.
Pour nous, chrétiens, il n'existe plus de sacré depuis que, par la venue du fils de l'Homme, la terre tout entière est devenue sacrée. Pas un grain de poussière qui ne soit sacré, depuis que Dieu s'est incarné.
Que nous rougissions de notre foi, que nous désacralisions nos églises comme en rêve la catholique Roseline Bachelot (qui n'est pas mentionnée dans le livre), que nous banalisions les mystères de la liturgie latine, voilà qui désespère Sonia Mabrouk. Elle ne veut pas d'un Occident matérialiste. Elle, musulmane, voudrait des chrétiens capables d'assumer le sacré.
Le sacré, sacré sujet ! Pour nous, chrétiens, il n'existe plus de sacré depuis que, par la venue du fils de l'Homme, la terre tout entière est devenue sacrée. Pas un grain de poussière qui ne soit sacré, depuis que Dieu s'est incarné. En foulant les chemins de Galilée, Jésus a enchanté tous les chemins de la terre. Nous devrions retirer nos sandales partout. Mais nous ne les retirons plus nulle part. Plutôt que le sens du sacré, qui est un raffinement des tabous culturels, nous recherchons le sens de la transcendance, et nous nous étonnons de ne pas le trouver.
Comment saisir la transcendance dans un monde horizontal ? Nous cherchons à voir le Christ dissimulé dans la banalité du monde. Mais nous finissons par banaliser l'Incarnation. Je comprends ce que nous dit Sonia Mabrouk quand elle déplore que la chrétienté ait refoulé le mystère qui la faisait tenir debout. Elle nous exhorte à rester, ou plutôt à redevenir ce que nous sommes.
La survie des civilisations
"En pensant se moderniser [...], l'Église se tire une balle dans le pied. Dans ce contexte, il me paraît urgent de nous battre pour la survie des civilisations. Le déclin de la civilisation judéo-chrétienne présage d'une sombre période que je ne souhaite pas", dit-elle. À la fin de l'ouvrage, Sonia Mabrouk donne la clef intime de son propos : la mort d'une mère immensément aimée l'a conduit, pour garder l'espérance, à regarder vers le ciel. Beau livre sur un immense sujet.
Pratique :