Au retour d’Irak où il accompagnait le président de la République, Mgr Pascal Gollnich, directeur général de l’Œuvre d’Orient, a opportunément rappelé que ceux qui font de l’islam une réalité homogène et violente tiennent exactement le discours de Daech. Il est naïf d’affirmer que l’islamisme n’a rien à voir avec l’islam. Mais il est tout aussi naïf de croire que l’islam conduit inévitablement à l’islamisme. La France a la chance de disposer de penseurs musulmans porteurs de paix. Il faut entendre ces hommes courageux. Quand tant de jeunes abandonnés à eux même sombrent dans l’extrémisme et que des associations censées les aider à s’épanouir les entretiennent dans la haine de la France, d’autres, plus discrets, construisent l’avenir.
L’islam manque d’une théologie de l’Histoire. À la différence de la Révélation incarnée, il porte un message hors de l’espace et du temps : c’est incontestablement un obstacle. Il n’est guère structuré, et le défaut d’interlocuteur est un autre obstacle au dialogue. Pour autant, les musulmans sont vivants et l’islam n’est pas un produit fossile. La lecture exclusivement fondamentale du Coran n’est plus un horizon indépassable de l’islam comme le prétendent les demi-habiles de la classe intellectuelle. Un mouvement d’ouverture est en cours, ralenti par l’émiettement des entités, mais partout perceptible. Il faudra du temps, mais une volonté réformiste est déjà à l’œuvre chez de très nombreux imams de France. Un islam compatible avec nos principes de liberté, d’égalité et de fraternité n’est pas seulement envisageable : il est en train de se chercher à bas bruit sous nos yeux, en maints endroits, sous le regard des pouvoirs publics.
Il est encore récent, donc fragile. Il ne faut pas le décourager par des provocations. Des élus, des préfets l’ont compris, qui entretiennent un dialogue avec ces hommes de bonne volonté. Écoutons les propos tenus par nos concitoyens musulmans au lendemain des attentats islamistes qui, en plus de meurtrir le cœur de la France, voulaient provoquer le déshonneur des musulmans de France et les exclure de la communauté nationale. Ces propos nous montrent que l’islam de France est une réalité plurielle et vivante. Cet islam incertain mais profondément libéral, qui souvent envoie ses enfants étudier dans l’enseignement catholique, désire, plus qu’on le croit, épouser l’idéal français. Il se fera même chrétien, le jour où la France se décidera à redevenir chrétienne.
Le monde bouge. L’islam aussi. Après tout, il n’y a pas si longtemps (moins de quatre siècles), la Confrérie du Saint-Sacrement défendait une lecture fondamentaliste de la Bible. Elle exigeait que les femmes portent le voile et que les bouchers ouverts le vendredi soient conduits en prison. Elle prônait l’exécution des personnes qui "manquaient de respect à la religion". Elle menaçait de faire le travail elle-même si la police ne s’en chargeait pas. Et cela se passait au cœur de l’Église catholique de Paris. Le jeune Louis XIV, roi très chrétien, n’est pas tombé dans le piège. Il a dissous la Confrérie. Il a fallu la lucidité de ce grand chef d’État pour nous préserver de l’obscurantisme.
L’Évangile qui a fondé notre civilisation est venu nous délivrer de l’esprit de jugement, tellement confortable dans les temps incertains.
Par la raison, notre foi s’affranchit, chaque jour, de la tentation fondamentaliste. Ce travail n’est jamais achevé. Mais la lutte est déjà victorieuse puisque, en venant accomplir la loi, le Christ nous a libéré de la dictature de la lettre qui tue. Il en a libéré tous les hommes, pas nous seulement. Car tous les hommes en restent menacés, pas les musulmans seulement. Les tendances fondamentalistes de certaines Églises évangéliques ne condamnent pas le christianisme, pas plus que les fantasmes kahanistes condamnent la foi juive. Les obsessions meurtrières de certains sunnites ou de certains chiites ne font pas irrémédiablement de l’islam la religion de la violence.
Face à une réalité qui nous dépasse, nous devons nous rappeler que nous sommes Français. À ce titre, nous avons face au monde un devoir de liberté. L’Évangile qui a fondé notre civilisation est venu nous délivrer de l’esprit de jugement, tellement confortable dans les temps incertains. Le Christ nous a enseigné le respect. Il a admiré la foi du centurion. Il a parlé à la Samaritaine. Il nous invite à regarder les autres hommes comme lui-même les a regardés. La caricature et l’insulte sont une attitude qui blesse en chaque homme l’image du Ressuscité et qui blesse aussi notre dignité de Français. La déclaration Dignitatis humanæ de Vatican II sur la liberté religieuse, inspirée des réflexions de Charles de Foucauld sur l’islam, continue de nous inspirer : l’homme n’a pas un droit à l’erreur, mais il est créé libre. Il nous faut aimer nos frères musulmans non pas bien qu’ils soient musulmans, mais parce que nous sommes chrétiens.