Le sacré nous a été confisqué
Qui ne se dit pas que notre paquebot-monde devrait ralentir, prendre le temps, dévier sa course follement prétentieuse, contempler, respirer. Se laisser inspirer ? Les démolisseurs n’ont de cesse de gommer toute trace de spiritualité dans nos sociétés. Comme l’a écrit Bérénice Levet dans Le Crépuscule des idoles progressistes (Stock), "toute une génération a été élevée dans le mythe, et même le culte, de la non-transmission, de la construction de soi sans héritage, dans le but d’accéder à une liberté qui s’est révélée totalement factice". On assèche une plante et on se demande pourquoi elle meurt… La création gémit comme jamais et les tensions montent. Dans nos sociétés liquides, dans ce monde qui donne l’impression de se désintégrer, il nous faut réintégrer dans nos existences l’invisible, le sacré. Pas la vache sacrée et idolâtrée du progrès, elle est à sec, ni ses petits veaux d’or du progressisme, ils sont à bout de souffle.
Du sacré, nous sommes devenus des amputés. Et nous sentons qu’il nous manque.
Nous sentons qu’il est temps. Temps de nous réarmer spirituellement et moralement. De redécouvrir une science de la vie, notamment celle qu’inspire le don de l’émerveillement et comme le développe merveilleusement Sonia Mabrouk dans son dernier essai, de Reconquérir le sacré (Éditions de l’observatoire). C’est vrai. Le sacré nous a été confisqué, frappé d’indignité, moqué, caché, démodé. Du sacré, nous sommes devenus des amputés. Et nous sentons qu’il nous manque. Il est temps de le remettre au centre de nos réflexions. En puisant, notamment, dans nos ressources spirituelles et en les travaillant.
Une expérience intime et collective
Le sacré est une dimension irréductible de l’être humain, qui a besoin de s’épanouir en chacun. C’est ce qui l’a elle-même sauvée, confie l’auteur qui termine son livre sur le déchirement de son cœur face à la perte de sa maman. C’est devant les yeux clos de sa mère adorée, enveloppée d’un drap immaculé, quand elle voyait son visage pour la dernière fois, que le sacré lui est apparu, comme un jaillissement. Comme une évidence. Lui laissant une empreinte qui ne l’a plus quittée. Si le sacré est une expérience personnelle, intime, dans l’intime de l’intime, il n’en est pas moins universel. Il y a un sacré collectif. "Sa survivance serait même la condition sine qua non de toute communauté humaine pérenne", écrit-elle. Et pourtant, il est un impensé. Sonia Mabrouk, journaliste qu’on a plaisir à lire, voir, entendre dans les médias, de confession musulmane, est visiblement amoureuse de la France, de ses racines et de sa culture chrétiennes. Elle, qui pense que la survie de l’Occident passera par le sacré, participe courageusement à le remettre sur le haut du panier de la pensée d’aujourd’hui. MERCI.
Ce qui n’a pas de prix
Le sacré, c’est tout ce qui fait lien au sein d’une société, d’une nation ou d’une civilisation. Le sacré n’est pas seulement le religieux, il peut être laïque et même athée. Il est ce qui pourvoie au besoin de communion et de partage, ce qui est source de limites et de sanctions. Comme Sonia, je ne crois pas qu’on puisse se passer du sacré. "Une civilisation qui échapperait à toute sacralité n’a plus rien en réalité d’une civilisation si elle ne pense pas l’interdit, si elle ne conçoit pas l’absolu, si elle ne théorise pas l’intouchable." Au fond, le sacré, c’est ce qui ne se vend pas, ne s’achète pas, ce pourquoi il est impossible de fixer une valeur, et encore moins un prix. Il est le précieux, ce que nous avons en commun sur lequel nous retrouver. Ce qu’il nous revient de défendre, ensemble. Voilà pourquoi, renforcée par cette lecture nourrissante, il ne faut pas avoir peur en ces temps troublés de clamer sur les toits ce qu’on entend dans le creux de l’oreille : la vie est sacrée.