Qu’est-ce qui justifie cet aplomb ? Qu’est ce qui fonde cette affirmation si peu pondérée ? Serait-ce une confidence du Ciel ? Si c’est le cas, il faudrait alors le proclamer, le claironner sur les toits ! Mais n’est pas Moïse ni Élie qui veut ! Qui donc peut se prévaloir ainsi de savoir ce qui est juste et bon pour l’Église ? Et en filigrane dénoncer dans un pur jus dogmatique la trahison de l’Église : celle-ci préfèrerait s’occuper d’elle-même au lieu de se consacrer à l’unique nécessaire : l’adoration de Dieu !
Un remake de Vatican II ?
Cette pique lancée contre le synode sur la synodalité amorcé par le pape François dans l’Église universelle, fait sûrement mouche chez ses détracteurs. Les plus remontés veulent y voir un "remake" du concile Vatican II qu’ils exècrent : son appel au dialogue symbolise pour eux l’agenouillement de l’Église devant le monde ; les mêmes ont toutefois moins de scrupule à user et à abuser du droit au désaccord, arraché de haute lutte aux défenseurs d’une chrétienté qui s’est évaporée sauf dans leur nostalgie.
"L’Église n’a pas besoin de synode. Elle a besoin de Dieu." Celles et ceux qui le pensent et le disent avec ces mots-là — et ils en ont le droit — ne savent peut-être pas qu’ils peuvent résonner étrangement à des oreilles qui n’ont pas la mémoire courte. Ces mêmes mots en effet auraient pu être prononcés par l’archevêque Marcel Lefebvre, le chef de file de l’opposition traditionaliste au concile Vatican II, jusqu’à sa mort en 1991. L’auteur du dernier schisme dans l’Église catholique avait en effet déclaré :
"Le grand message de l’Église au monde, c’est le retour au Bon Dieu. C’est ce dont vit l’Église, ce dont elle a besoin."
Marcel Lefebvre sut habilement agiter comme une muleta la défense de la messe en latin, alors qu’il avait voté pour la réforme liturgique, comme la quasi-unanimité des pères conciliaires. Par contre, il avait voté contre les décrets de la liberté religieuse et de l’œcuménisme. Pour ce prélat en sécession, il était tactiquement plus juteux d’inciter à la fronde les catholiques sur le dossier passionnel de la messe, que sur les deux autres sujets de friction pourtant à l’origine du schisme de 1988 : celui-ci intervint après la consécration illégale de quatre évêques traditionalistes, mais aussi après la réunion de prière interreligieuse pour la paix, convoquée à Assise par Jean Paul II en 1986, et taxée d’"abominable congrès des religions" par Mgr Lefebvre.
Une assemblée de prières
Pourquoi ce mémo historique ? Autres temps, autres mœurs, pourrait-on objecter. Certes ! Mais il faut être sourd ou aveugle pour ne pas constater que la démarche synodale impulsée par le pape François a réactivé des craintes d’un côté et des attentes de l’autre, que l’on entendait déjà pendant le concile puis durant la période préconciliaire. Et, on vient de le voir, elles emploient des sémantiques et des formes d’expression semblables. Pour éviter qu’une nouvelle "guerre civile" n’éclate entre catholiques, le rapporteur général du synode, le cardinal luxembourgeois Jean-Claude Hollerich a mis en garde contre la tentation de "faire du politique".
Ce n’est pas l’objet du synode, a-t-il rappelé, de se polariser sur le sacerdoce des femmes ou sur l’homosexualité, "il s’agit de se mettre ensemble pour aller vers l’avenir, pour aller annoncer le Christ ensemble et servir le monde". "Le plus petit des chrétiens qui aime Dieu est une cathédrale vivante" écrivait François Mauriac dans son fameux Bloc-Notes. Cette citation nous renvoie à une réalité ecclésiale toujours vraie : celle du peuple de Dieu, qui continue de faire de l’Église, aujourd’hui comme hier, ce qu’elle a toujours été depuis sa naissance le jour de la Pentecôte : "une assemblée de prières" ; ce qu’est aussi, bien entendu, le synode sur la synodalité lancé jusqu’en 2024 !