"Quel oiseau rare !" disait Henri IV de François de Sales. Le roi avait perçu dans la même personnalité "le gentilhomme, le docte et le dévot". On comprend pourquoi tant de pouvoirs mondains cherchèrent à s’approprier cet être d’exception. Mais le saint évêque de Genève était de la liberté intérieure dont sont habités les amis de Dieu. Entré dans la Vie le 28 décembre 1622 au terme de cinquante-cinq ans d’existence vouée à Celui qu’il appelait "Dieu du cœur humain", François de Sales est d’une bouleversante actualité pour notre temps. Dieu nous fait don, par ce "joyau de la Savoie" (ainsi le qualifiait Paul VI), d’un pasteur, docteur, guide spirituel et médiateur dont le témoignage parle aux cœurs errants et enténébrés qui peuvent être les nôtres en ces heures de crises. Soulignons quelques traits de cette cohérence spirituelle trop rare aujourd’hui.
L’accompagnement des âmes
Apte à tant de choses, François excelle à développer ses dons. Il pourrait s’autosatisfaire. Mais une expérience décisive forge en lui l’essentiel : jeune étudiant à Paris, le voici désemparé à la perspective que tous les êtres ne soient sauvés. Les débats théologiques et philosophiques sur la prédestination sont en effet vifs et déstabilisants en cette fin du XVIe siècle. De cette crise qui aurait pu être fatale, François est secouru par la Vierge. "Quoique vous ayez décrété, Seigneur, de mon éternité, puissè-je vous aimer aujourd’hui !" Cette épreuve fondatrice synthétise ce que sera son charisme exceptionnel d’accompagner les âmes, chacune en elle-même. "Soyons ce que Dieu veut et soyons le bien" sera son adage. "Dieu aime notre vocation, aimons-la donc" sera le plaidoyer de cet orfèvre. L’Introduction à la Vie dévote, best-seller de l’édition, n’est pas une théorisation fumeuse. À la genèse du livre, on trouve l’étonnante capacité de François de Sales à écouter Dieu dans la personne humaine.
Inusable pasteur
François est un pasteur épris de la sanctification de son peuple. Se trouvant en montagne, il s’émeut de la sollicitude d’un pâtre envers une brebis du troupeau. L’image le bouleverse. Que ne doit-il être voué à ceux que Dieu lui confie ! À tous ! Dans la conviction prophétique que tous les états de vie ont une grâce spirituelle. Inlassablement, il sillonne son diocèse. "Me voici devenu évêque d’une barque toute fracassée" écrit-il de Genève, alors qu'il est en exil à Annecy. Cette allusion à la barque de l’évangile dynamise d’autant son lien au Christ. Ce prédicateur n’a de cesse d’annoncer la Bonne Nouvelle. Les vicissitudes sont nombreuses : tensions avec le calvinisme, corruption dans certaines communautés, difficultés politiques entre le duché de Savoie et ses voisins… "Nous devons user des armes de la charité" clamera ce chantre de la douceur et de l’humilité.
L’étonnant est que, tout en étant pleinement de son temps, sa vision de Dieu en l’homme, et de l’homme en Dieu, nous touche en 2023 aussi justement. Le concile de Trente vient de s’achever. François de Sales, obéissant à l’Esprit Saint, veille à la réalisation de ce concile jusque dans la paroisse la plus discrète. Or, sa spiritualité ancrée dans le XVIIe siècle, vivifie notre aujourd’hui. Il sera précurseur, disait Paul VI, de l’appel, par Vatican II, de tous les hommes à la sainteté.
Un modèle quotidien
"Je suis plus feint que saint" disait-il à la dérobée de ceux qui l’auraient canonisé de son vivant ! Les souverains pontifes apporteront chacun leur touche pour évoquer le rayonnement de cet apôtre qui se disait "tant homme que rien plus". Pie XI en 1923 décrira son inaltérable douceur, et lui conférera le saint patronage des écrivains et journalistes ayant tant besoin d’un si solide intercesseur ! Jean XXIII le présentera comme un "modèle quotidien". Paul VI nous dira combien son humanisme est christocentré. Jean-Paul Ier eut peut-être un pontificat éphémère. Mais il était un familier du saint savoyard lui ayant écrit une lettre : "Avec vous, l’âme n’est pas une citerne mais une source !" Jean Paul II sera pèlerin d’Ars et Annecy, soulignant la communion de ces deux ministères. Benoît XVI catéchisera sur "une pensée simple en apparence mais reliant les attentes humanistes aux soifs spirituelles". Le pape François, en sa lettre apostolique Totum amoris est prend quant à lui le dessein de décrire l’artisan du discernement de bienveillance que fut cet épistolier, confesseur, prédicateur, diplomate, théologien... Lisez cette lettre dans vos familles et communautés comme un canevas : exigeant dans son envers comme le véritable amour sait l’être, mais fécondant, à son avers, des cœurs nouveaux.
L’ordre de la Visitation que fonda François de Sales en 1610 avec Jeanne de Chantal porte vers Dieu vos aspirations, inquiétudes, intercessions. "Le monde devient si délicat, disait-il, qu’il faut le prendre avec des gants parfumés. Il importe surtout qu’il soit aimé et sauvé !" Dirions-nous autre chose en cette année nouvelle 2023 ?