"À l’occasion du quatrième centenaire de sa mort, je me suis interrogé sur l’héritage de saint François de Sales pour notre époque, et j’ai trouvé éclairantes sa souplesse et sa capacité de vision", écrit le pape François dans une lettre d’une dizaine de pages.
Qualifiant "d’immense" l’influence de François de Sales sur l’Europe, le pape François reprend à son compte les mots de Benoît XVI au sujet de celui qui fut proclamé en 1877 Docteur de l’Église : "C’est un apôtre, un prédicateur, un homme d’action et de prière ; engagé dans la réalisation des idéaux du Concile de Trente ; participant à la controverse et au dialogue avec les protestants, faisant toujours plus l’expérience, au-delà de la confrontation théologique nécessaire, de l’importance de la relation personnelle et de la charité ; chargé de missions diplomatiques au niveau européen, et de fonctions sociales de médiation et de réconciliation."
Une Église non autoréférentielle, libre de toute mondanité mais capable d’habiter le monde
Pour le pape François, le "saint évêque d’Annecy" [il fut évêque de Genève avec résidence à Annecy] a eu "la nette perception d’un changement d’époque". Ainsi, de l’expérience de cet ancien missionnaire dans le Chablais calviniste qui sut penser un monde en "transition rapide", le Pape tire un enseignement pour le monde d’aujourd’hui.
"Une Église non autoréférentielle, libre de toute mondanité mais capable d’habiter le monde, de partager la vie des personnes, de marcher ensemble, d’écouter et d’accueillir. C’est ce que François de Sales a accompli en déchiffrant son époque, avec l’aide de la grâce", insiste le Pape.
Relation à Dieu, dévotion et extase
Pour aider les chrétiens à "habiter le changement avec une sagesse évangélique", le Pape reprend dans sa lettre trois axes fondamentaux de la pensée de François de Sales.
Le premier consiste à relire la "relation heureuse entre Dieu et l’être humain", thème clé de son fameux Traité de l’amour de Dieu (1616). Pour le fondateur de l’ordre de la Visitation avec Jeanne de Chantal, il s’agit de réaliser que Dieu n’impose rien à sa créature de manière despotique ou arbitraire mais lui apprend à marcher "comme le fait un papa ou une maman avec son enfant".
"L’homme est ainsi : fait par Dieu pour voler et déployer toutes ses potentialités dans l’appel à l’amour, il risque de devenir incapable de décoller quand il tombe à terre et n’accepte pas de rouvrir les ailes au souffle de l’Esprit", paraphrase le Pape.
Le deuxième élément de l’œuvre de saint François de Sales mis en avant par le Pape est sa réflexion sur la dévotion. "La description de la fausse dévotion par François de Sales est savoureuse et toujours actuelle et il n’est pas difficile pour nous de nous y retrouver, non sans une touche efficace de sain humour", relève le Pape, rapportant un certain nombre d’exemples. "L’autre tire fort volontiers l’aumône de sa bourse pour la donner aux pauvres, mais il ne peut tirer la douceur de son cœur pour pardonner à ses ennemis", cite-t-il ainsi.
Pour le saint de Savoie, "la vraie et vivante dévotion […] présuppose l’amour de Dieu, ainsi elle n’est autre chose qu’un vrai amour de Dieu". Par ailleurs, note le Pape, le théologien ne sépare jamais "la charité et la dévotion" qui sont pour lui comme la flamme et le feu.
Avec François de Sales, la dévotion n’a donc "rien d’abstrait", insiste le pape François qui voit en elle "un style de vie, une façon d’être dans le concret de l’existence quotidienne". Dès lors, "elle appartient à tous et est pour tous", prévient-il en reprenant les paroles de Paul VI prononcées à l’occasion du quatrième centenaire de la naissance de François de Sales : "La sainteté n’est pas l’apanage de l’une ou de l’autre classe ; mais l’invitation pressante est adressée à tous les chrétiens."
Enfin, le pape François souligne que l’évêque d’Annecy considérait la vie chrétienne comme "l’extase de l’œuvre et de la vie". Mais il prévient immédiatement : cette extase ne doit pas être confondue avec "une fuite facile" et "encore moins avec une obéissance triste et grise", pointant du doigt ce "danger" qui menace la vie chrétienne et fustigeant les chrétiens aux airs de "carême sans Pâques".
La bonne extase (...) "implique une véritable sortie de soi"
Citant largement François de Sales, le Pape décrit l’extase comme "une vie qui a retrouvé les sources de la joie, contre toute aridité, contre la tentation du repli sur soi".
Il souligne d’ailleurs que, lorsque la vie intérieure "se ferme sur ses propres intérêts, il n’y a plus de place pour les autres, les pauvres n’entrent plus, on n’écoute plus la voix de Dieu, on ne jouit plus de la douce joie de son amour, l’enthousiasme de faire le bien ne palpite plus".
Comme pour la vraie dévotion, le Pape écrit finalement que le grand critère qui permet de discerner la bonne extase est de savoir si elle "implique une véritable sortie de soi". En d’autres termes, "celui qui prétend s’élever vers Dieu, mais ne vit pas la charité envers son prochain, se trompe lui-même et trompe les autres .