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Dans les fumées de la rue d’Enghien à Paris où la foule crie vengeance. Dans le ressac qui chahute les frêles embarcations de ceux qui cherchent à gagner une terre de promesses. Dans l’écho sourd des lèvres qui mendient et des mains qui se tendent. Dans les voyageurs malmenés et les familles séparées et les larmes d’un vieux qui tremble de ne pas vivre assez pour voir une fois encore ceux qu’il a tant aimé. Dans la foule grouillante qui consomme, insatiable, tournant comme à l’aveugle autour des mêmes enseignes. Dans le cœur de celui qui attend l’appel qui ne vient pas comme dans celui de qui, obstinément, refuse de décrocher. Dans les lèvres qui esquissent un baiser tout timide, et sur la joue ou la bouche de qui l’accueillera. Dans l’assemblée joyeuse qui chante toute la nuit, sous les tropiques d’Afrique, ou dans celles, plus pudique et timide de nos églises de l’Ouest. Voici Noël où s’enfouit Dieu.
De la nuit, tous sortent de l’ombre
Il ne vient pas, Deus ex machina, en grand imprécateur, menaçant et glorieux, déjà tout triomphant. Il n’est pas chez César, ni même au cœur du Temple. Il est au plus intime, au plus simple, au plus banal de la vie qui paraît. Comme le soleil qui lève, sans bruit et sans fureur, sans tonnerre, sans grondement, il lève tout simplement. Et la lumière qui monte révèle où est chacun : de la nuit, tous sortent de l’ombre.
Cette lumière qui apparaît, elle nous dévoile tels que nous sommes.
Cette lumière qui apparaît, elle nous dévoile tels que nous sommes. Les uns dans leurs luttes, les autres dans leurs désirs, lui, elle, eux, nous. Hommes d’aujourd’hui de tant de cultures, de races et de nations, dispersés à la surface d’une terre, au cœur d’une création où la Vie souffle, infiniment, inlassablement. Et cette lumière nous présente ainsi les uns aux autres non d’abord pour que nous la regardions elle, fascinés et inquiets de cette puissance du jour qui efface les ténèbres. Mais pour qu’enfin nous osions nous regarder les uns les autres, tels qu’elle nous révèle les uns aux autres. Dans nos beautés et nos laideurs, nos fragilités et nos soifs immenses : comme autant de cadeaux.
Rien à craindre
Nul ne peut fixer le Soleil sans y perdre la vue. Mais sa lumière nous donne de pouvoir scruter le relief du monde. Elle ne sélectionne pas ce qui y est ou non regardable. Elle nous montre tout.
Et le balbutiement du bébé de la crèche nous rassure : rien à craindre ! S’il accepte de s’enfouir dans notre humanité, c’est bien que Dieu jamais ne s’enfuira de nous. Ce qu’il nous donne de voir, il nous rend capable de le vivre, pourvu que nous nous laissions convaincre par le chant des anges, que la fureur des soldats d’Hérode ne l’emportera jamais sur l’amour d’une mère. Car cet amour, comme tout amour, est à l’image de celui qui en est la source. Il ne passera jamais. Voici Noël où s’enfouit Dieu, du cœur duquel nul ne peut s’enfuir.