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Sur les ondes de la radio angélique, un appel retentit : "Ici Bethléem, je répète, ici Bethléem, les bergers parlent au berger, je répète, les bergers parlent au berger." Les bons anges pourtant réunis en chœur pour chanter la gloire de Dieu sur la terre à grands renforts de trompettes célestes se font discrets. C’est que les démons pourraient capter leur émission, et décider un attentat contre l’enfant. Du reste, c’est ce qu’ils suggèreront très vite à Hérode, qui fera exécuter tous les enfants nouveau-nés pour supprimer le petit roi de la crèche, en vain.
La résistance tient son acte de naissance
Alors, sur la radio angélique, c’est de manière cryptée qu’on informe : "Ici Bethléem, je répète, ici Bethléem, les bergers parlent au berger." La résistance contre l’empire du péché et de la mort est encore modeste. Elle a le visage poupin d’un enfant posé dans une mangeoire. L’armée des ombres fait pâle figure, de Marie aux traits tirés à Joseph qui a le visage soucieux en passant par le bœuf et l’âne. Croit-on vraiment qu’avec ça on va vaincre le terrible empire du péché et de la mort ? Mais déjà d’autres hommes rejoignent l’armée des ombres, et ce sont les bergers annoncés par la radio angélique. Ils viennent voir celui qui est "le Bon Berger", le Sauveur, et qui pour l’instant n’est qu’un bébé rose et vagissant au milieu de parents fatigués.
L’armée des ombres est un assemblage hétéroclite. Bientôt s’y ajouteront des mages venus de loin. Des supplétifs africains et asiatiques viennent renforcer le contingent. Tout ça n’est pas très impressionnant… Et pourtant, ça y est, la résistance tient son acte de naissance. Le péché et la mort semblent encore triompher partout, mais leurs jours sont comptés. Dans le secret, la résistance s’organise autour de ce petit enfant. Un jour, on le pressent déjà, ce sera la libération ! En attendant, il faut que d’autres rejoignent cette armée des ombres.
Sous les apparences de la faiblesse
Pourquoi d’ailleurs ce surnom d’"armée des ombres" pour l’Église naissante qui commence à la crèche ? Il faut justifier à la fois le substantif ("l’armée") et le génitif ("des ombres"). Pourquoi "l’armée des ombres", donc ? D’abord, parce que l’Église est bien une armée, réunie derrière un chef — le Christ — et qui livre un combat terrible contre Satan. Ce qu’il y a de particulier dans cette guerre, c’est que nous en connaissons déjà l’issue : la victoire. Elle a été acquise par le Christ, par sa mort sur la Croix et sa résurrection du séjour des morts. La victoire est donc l’issue certaine de cette guerre. Mais en attendant, le combat fait rage, car l’ennemi pratique la politique de la terre brûlée : il sait qu’il a perdu, mais veut détruire tout ce qu’il peut dans son mouvement de retraite. Satan veut entraîner des âmes dans le sillage de sa défaite. L’Église doit donc se battre, et le combat est souvent violent. Nous sommes les soldats du Christ, et nos armes sont la vérité et la charité. Il n’y a rien de plus puissant que ces armes-là, qui se présentent sous les apparences de la faiblesse. Ce serait déchoir de notre dignité de chrétiens que d’employer les mêmes armes que le monde, même plus efficaces en apparence.
À l’ombre du vrai soleil
Ensuite, l’Église mérite le titre d’"armée des ombres" parce que ce qu’elle est vraiment demeure largement invisible aux yeux des hommes. Ils n’en voient que la surface, pas toujours très reluisante d’ailleurs. Il est vrai que la sainteté est discrète, et fait rarement sa propre publicité. Il est vrai aussi que l’Église conserve de ses débuts le goût de la clandestinité. C’est lorsqu’elle est la plus cachée, la plus persécutée, lorsqu’elle est vraiment clandestine, qu’elle porte ses plus beaux fruits de sainteté. Trop établie, trop sûre de sa force, elle meurt lentement, se désagrège de l’intérieur. L’histoire de l’Église en regorge d’exemples.
C'est à l’ombre de sa croix dressée sur le monde que nous recevons sa vie divine qui s’écoule de son côté transpercé.
Enfin, l’Église peut être qualifiée d’"armée des ombres" parce qu’en son sein, seul le Christ est le vrai soleil. Tous les baptisés qui constituent l’Église vivent à l’ombre du vrai soleil qu’est Jésus-Christ. Il est le seul à être source de la lumière, source de la vie. Au mieux, nous pouvons avoir le rayonnement de la lune, qui reflète une lumière qui lui vient d’ailleurs. Paradoxalement, c’est en nous rapprochant le plus du soleil que nous bénéficions de son ombre bienfaisante, qui nous procure le repos et la fraîcheur. Et c’est à l’ombre de sa croix dressée sur le monde que nous recevons sa vie divine qui s’écoule de son côté transpercé. Dans l’aube naissante de cette fête de la Nativité du Seigneur, nous avons entendu l’appel des anges. Ensemble, rejoignons l’armée des ombres, autour de notre général qui nous sourit depuis la mangeoire de la crèche. La victoire nous est promise.