"J’ai l’impression de devoir tout gérer, d'avoir plusieurs casquettes à la fois. Mais finalement, celle que je priorise le plus est la maternité. Seul hic, au final, je laisse peu de place à l’épouse que je suis", explique Sarah, 32 ans et mère de trois enfants.
Une problématique qui parle à de nombreuses femmes qui se sentent écartelées entre leur maternité et leur féminité. Que l'on soit mère au foyer ou impliquée dans le monde du travail, comment être à la fois mère et épouse désirante et désirée ? L’équilibre mère-femme n’est pas toujours facile à trouver. D’autant plus que les femmes ont parfois du mal à se recentrer sur leurs désirs. Elles ne savent pas quoi choisir, où se situer. "La liberté profonde de la femme réside dans le fait de se dégager de la combinaison, être femme ou être mère pour accéder à l’articulation : être femme et être mère", explique Hélène Dumont, conseillère conjugale, familiale et sexothérapeute.
Féminité, maternité… Kézako ?
Avant de parvenir à trouver ce fameux équilibre, il faut bien différencier la maternité de la féminité. Bien souvent, la dernière est résumée à tort au côté physique, être féminine signifierait être coquette. Or en réalité, "la féminité recouvre de nombreuses dimensions : professionnelle, intellectuelle, spirituelle, sociale et érotique que la femme pourra penser, développer, poussée par le désir de rencontrer l’autre et celui de s’investir dans le monde, d’intégrer un groupe, de trouver sa place. Elle est spécifique à chaque femme", détaille l’auteur de Terre éclose (Emmanuel).
La féminité renvoie également à l’enveloppe corporelle de la femme, à sa façon de se l’approprier. "C’est l’apparence, la séduction, le rapport au corps dans ce qu’il a d’extérieur et qui dit quelque chose de ce qu’est la femme, telle qu’elle se pense, telle qu’elle se vit. Elle est tout autant singulière", note Hélène Dumont. Enfin, la féminité comporte l’ensemble des caractéristiques des rôles sociaux qu’on attribue à la femme dans une culture donnée, à une époque précise. La femme pense bien souvent sa féminité en fonction de ce que l’on peut en attendre.
Quant à la maternité, elle correspond à la possibilité d’engendrer (recevoir, porter et donner la vie) et d’accompagner la vie à travers la présence aimante auprès de son enfant qui grandit, qui devient même adulte. "Cette présence est aussi une déclinaison de la fécondité (par exemple celle d’une mère ayant adopté). Ce qui permet de mettre en lumière un trait essentiel de la maternité et de la fécondité, à savoir l’altérité", précise Hélène Dumont.
Mais pourquoi cet écartèlement ?
Si autrefois, les femmes n’étaient pas préoccupées par la question d’être à la fois mère et femme, les deux étant intimement liés, les première et seconde guerres mondiales ont fait bouger les lignes. Elles ont montré que les femmes pouvaient se débrouiller sans les hommes, s’attribuer d’autres rôles. Tout cela a préparé la révolution de mai 68 où les femmes ont clairement revendiqué le fait de séparer la maternité et la féminité, plus particulièrement la maternité et la sexualité.
"Les femmes ont plus largement accédé au monde du travail, à une sexualité plus libre, mais elles n’ont pas lâché pour autant le fait d’être mères et de surcroît, de bonnes mères. Ce désir de vouloir répondre à ces deux aspirations, plutôt que de les libérer, les a en quelques sorte enfermées, d’où le tiraillement entre le fait d’être mère et le fait d’être femme", explique Hélène Dumont.
La maternité et la féminité ne sollicitent pas les mêmes énergies, l’une est empreinte de tendresse, l’autre d’élan. Cela demande beaucoup de remise en question, de créativité pour trouver un tricotage sur mesure, adapté à la personnalité et à l’histoire de chaque femme.
N’ayant pas de modèle féminin inspirant, proposant un équilibre mère-femme, et que l’on pourrait adapter à la vie moderne, les femmes se posent beaucoup de questions et se mettent la pression pour répondre à ces nombreuses facettes d’elles-mêmes. C’est le cas d’Alexandra, 33 ans : "Maxime voudrait que nous ayons un deuxième enfant. Je ne suis pas fermée à l’idée, mais je n’ai pas encore atteint mes objectifs professionnels. C’est maintenant ou jamais ! Avec mon travail, assez prenant, j’ai à peine le temps de jouer avec notre fille. J’ai peur de ne pas pouvoir m’en sortir avec deux enfants… Je ne voudrais pas culpabiliser davantage".
"De plus, la maternité et la féminité ne sollicitent pas les mêmes énergies, l’une est empreinte de tendresse, l’autre d’élan. Cela demande beaucoup de remise en question, de créativité pour trouver un tricotage sur mesure, adapté à la personnalité et à l’histoire de chaque femme", déclare Hélène Dumont, elle-même mère de six enfants. Enfin, la troisième raison qui rend cet équilibre difficile est le rapport au temps. Les femmes veulent vivre plusieurs facettes d’elles-mêmes (maternelle, féminine, professionnelle, sociale, érotique…) de façon simultanée. Le risque serait de les superposer, prévient Hélène Dumont. Or, ces facettes sont en mouvement régulier. Elles s'articulent différemment selon les moments de la journée, mais aussi de la vie. Elles rappellent que la vie est faite de saisons, de rythmes et que cela est à accepter et à ajuster de façon permanente, tout en acceptant l'idée de la frustration".
La remise en question de la femme… mais aussi de l’homme
Mais alors comment réagir vis-à-vis de cette frustration, de ces tensions intérieures ? "D’abord faire un état des lieux et de revenir aux valeurs qui nous habitent en tant que femme et mère. Qu’ai-je envie de vivre aujourd’hui, que m’est-il possible de choisir ? Quelles sont mes priorités ? Comment me faire aider ?", conseille Hélène Dumont. Et d’ajouter : "J'invite les femmes, quand elle le peuvent, à cesser de ressasser ces questions seules. Le regard de l’homme est très important et bien souvent inspirant".
Pour aider son épouse à trouver son fameux équilibre, l’homme doit aussi se remettre en question. Il est un soutien dans sa maternité, mais également celui qui va l’aider à retrouver une vie de femme, que celle-ci se réalise dans le domaine familial, professionnel, associatif, culturel ou encore érotique. "Je me suis très longtemps enfermée dans mon rôle de mère. Je n’osais pas prendre du temps pour moi. À un moment donné, je me suis épuisée... Mon mari a su réagir à temps. Depuis, il m’invite à me ressourcer régulièrement avec mes amies", confie Jeanne, mère de deux garçons âgés de cinq et deux ans.
Le conjoint peut donc aider, à condition que la femme consente à ce qu’il le fasse sans culpabiliser elle-même (il en fait trop, ma mère ne faisait pas comme ça, pourrait-elle penser), à condition qu’elle le laisse faire à sa façon (et cela va au-delà de la question du genre, c’est aussi une question de personnalité, l’autre est différent de moi).
Recentrer ses objectifs, ses valeurs et ses priorités pour un temps donné
Les femmes ont bien souvent des solutions, des aides, des personnes ressources, des droits, mais elles ne savent ou n'osent pas toujours s’en servir. Certaines pensent encore que les autres ne seront pas faire aussi bien qu’elles. Ce qui provoque des conséquences sur leur vie. "Notre quotidien tourne autour d'Anna, deux ans. Encore aujourd’hui, j’ai peur de la confier aux autres, même aux amies. Ce qui fait que, même si j’en ai envie, je ne peux pas prendre du temps pour mon époux, sortir dîner avec lui ou juste aller ensemble au musée", confie Alexandra.
L’articulation parfaite est celle qui convient dans le temps donné, de façon imparfaite, et sans oublier de remettre sa vie en perspective.
Le chemin d’équilibre est souvent imparfait mais aussi difficile car la maternité est imprévisible, elle est intimement liée au couple, mais aussi toujours en évolution car les enfants grandissent et les questions avec. Hélène Dumont invite donc les femmes à laisser les nombreuses facettes qui les habitent à dialoguer entre elles et laisser place à chacune à un moment donné de sa vie. Et surtout ne pas oublier que chacune de leurs facettes aide à enrichir l’autre. Un constat fait également par Jeanne : "Je pense que ma maternité m’a aidé à prendre du recul au travail, à moins dramatiser certaines situations professionnelles".
Faire un bilan avant la rentrée
Autre point important : prendre du recul par rapport à ce que la société peut nous dicter. Beaucoup de femmes se sentent morcelées car elles ont envie d’être parfaites dans tout ou de toucher à tout. Chose difficilement atteignable. Par conséquent, ces femmes ne se trouvent jamais assez bonnes dans rien ou ne cessent de courir d'une activité à une autre. "Il faudrait réfléchir différemment : l’articulation parfaite est celle qui convient dans le temps donné, de façon imparfaite, et sans oublier de remettre sa vie en perspective", conseille Hélène Dumont.
L’été peut être propice pour ce questionnement. C’est l’occasion de faire un bilan avant la rentrée pour recentrer ses objectifs, ses valeurs et ses priorités. Et prendre pour le temps donné celui de l’année scolaire. "Surtout mettre plus de souplesse dans sa vie et ne pas hésiter à demander de l’aide", conclut Hélène Dumont.