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Tout le monde connaît le miracle bisannuel de la liquéfaction du sang de saint Janvier, cet évêque martyr de Bénévent vénéré à Naples. Ce que l’on sait moins, en revanche, c’est qu’il n’est pas le seul à voir au jour anniversaire de sa mort ce phénomène, aujourd’hui encore scientifiquement inexpliqué, se produire et reproduire avec une troublante et incompréhensible régularité. Chaque 27 juillet, en effet, un autre témoin du Christ, Pantaléon, en fait autant pour ses dévots. À la même heure, dans les sanctuaires où il est honoré, à des milliers de kilomètres de distance…
Surchargée de détails fantaisistes et écrasée sous le nombre des miracles censés avoir entourés son long supplice, la passion de Pantaléon est difficilement exploitable par l’historien. Il est cependant impossible de mettre en doute l’existence de ce martyr, très tôt vénéré en Orient, célébré par les Pères grecs de l’Église, et dont les nombreuses reliques vite dispersées aux quatre coins de la chrétienté attestent la popularité, tout comme son inscription au nombre des saints auxiliaires, ou secourables, chers à l’époque médiévale. Sous les pieux embellissements de sa légende dorée, il reste cependant possible de retrouver l’essentiel et d’esquisser, au moins à grands traits, une version plausible de son histoire.
Le vent tourne pour les fidèles du Christ
Pantaléon est né dans la seconde moitié du IIIe siècle en Asie mineure, sans doute à Nicomédie, alors capitale impériale de l’Orient, dans une famille aisée ayant ses entrées à la cour et dans l’entourage de Dioclétien. Peut-être son père est-il médecin et soigne-t-il, sinon l’empereur, du moins certains de ses proches. Cela expliquerait le choix de Pantaléon de poursuivre des études médicales et la facilité avec laquelle le jeune homme, doué et ambitieux, s’impose dans ce milieu curial où les places sont difficiles à conquérir, plus encore à conserver, les jalousies et les rivalités féroces.
Arrivé au pouvoir en 284, Dioclétien n’a d’abord pas été hostile au christianisme, dont les adeptes sont très nombreux, sinon majoritaires, dans la partie orientale de l’Empire romain. Il n’a pas hésité à s’entourer de dignitaires chrétiens dont certains sont devenus ses amis intimes mais, en ce tout début du IVe siècle, cette bienveillance n’est plus à l’ordre du jour. Dioclétien vieillit, sa santé décline et il lui arrive de se demander si son indulgence envers les fidèles du "Galiléen" comme les ennemis du Christ L’appellent, ne lui a pas aliéné son dieu de prédilection, le Soleil invaincu. Et puis, il y a son gendre, et futur successeur à la tête de l’Empire d’Orient, le César Galère, un ambitieux qui ne souhaite pas, lorsque son beau-père et son co-empereur Maximin se retireront en 304, partager le pouvoir avec le César d’Occident, Constance Chlore. On prétend celui-ci favorable aux chrétiens, en raison de sa longue liaison avec sa concubine chrétienne, Hélène, dont il a désigné le fils, Constantin, comme son futur successeur. S’en prendre aux chrétiens, c’est saper l’avenir politique de Constance et de son fils ; c’est aussi s’acquérir la sympathie des intellectuels païens, puissants et influents à la Cour. Oui, à n’en pas douter, le vent tourne pour les fidèles du Christ qui sont en passe de perdre les faveurs impériales…
Pantaléon n’est plus le même
Cela, Pantaléon, en début de carrière, l’a très bien compris. Lui aussi est né d’une union mixte entre un tenant des anciens dieux et une chrétienne, Eubula, qui a tenté de lui transmettre sa foi. Mais l’exemple maternel n’a guère marqué le jeune homme, du moins en apparence, et c’est en parangon du culte officiel au dieu solaire que le jeune médecin s’est imposé à la cour, soignant Dioclétien et maintenant Galère. Une belle carrière se profile devant lui.
En dénonçant Pantaléon, ses confrères savent bien qu’ils le vouent à la mort et qu’elle sera horrible, afin de servir d’exemple.
Une belle carrière à laquelle Pantaléon va brusquement renoncer lorsque, en février 303, vont paraître les édits interdisant l’exercice du culte catholique, fermant les églises vouées à la démolition, confisquant les livres saints et les archives des communautés, privant les chrétiens de bonne naissance de tous leurs droits et privilèges, réduisant les humbles en esclavage, avant de les envoyer tous à la mort… Cette évolution ne s’est pas faite en un jour dans l’esprit du jeune médecin ; il fait probablement partie de ces gens honnêtes et réfléchis que l’horreur de la persécution va forcer à se poser des questions sur le christianisme et conduire à la conversion ; l’un de ses amis l’y aidera et le mènera au baptême. Pantaléon n’est plus le même et cela se voit. Certains de ses confrères, jaloux de son succès, s’en aperçoivent, découvrent son appartenance à la foi interdite, et le dénoncent à Galère.
Des fidèles ont recueilli son sang
Celui-ci hait les chrétiens et, depuis qu’il s’est fait le maître d’œuvre de l’effroyable persécution qui les frappe, il en a peur, convaincu qu’il se trouvera parmi les familles de ses nombreuses victimes un assassin pour les venger. Comment, alors qu’il vit dans la terreur de l’attentat, se confier aux soins d’un médecin chrétien ? En dénonçant Pantaléon, ses confrères savent bien qu’ils le vouent à la mort et qu’elle sera horrible, afin de servir d’exemple. La passion romancée énumère une longue série de supplices auxquels le martyr échappe : le feu, qui s’éteint, les bêtes, qui se couchent à ses pieds, le glaive, qui se tord et ne le décapite que lorsque le témoin du Christ prie Dieu de le laisser mourir. Même si ce genre d’incidents se produit parfois, ce qui a été le cas, en 177 à Lyon pour Blandine ou à Carthage en 203 pour Félicité et Perpétue, en d’autres lieux encore, il faut admettre quelques pieux embellissements et renoncer à savoir précisément quel genre de mort, certainement pénible et douloureux, a été réservé, le 27 juillet 305, au jeune médecin qui avait trahi la confiance de son maître…
Quoiqu’il en soit, cette mort a été sanglante et, selon l’usage, des fidèles ont recueilli le sang du martyr dans une fiole déposée près de son corps dans sa sépulture. Lorsque, à la fin des persécutions, cette tombe se mue en sanctuaire et que les foules affluent implorer le martyr, élevé, à l’instar de Raphaël, Luc, Côme et Damien au rang de patron des médecins, mais aussi des sages-femmes, sans que l’on sache trop pourquoi, les reliques de Pantaléon commencent à être dispersées. Sa tête arrive ainsi à Lyon, l’un de ses bras à Saint-Denis, d’autres parties de son corps à Porto, Lucques, Venise et la fameuse fiole de sang à Rapallo en Italie. Et les évêques ne vont pas tarder à faire une découverte troublante. Chaque été, à la fête du martyr, lors de l’ostension de la relique, le sang qui, d’ordinaire, se présente comme un amas coagulé et brunâtre se liquéfie et redevient rouge vif, comme celui de saint Janvier à Naples, sauf qu’à la différence de celui de l’évêque de Bénévent, il n’y a pas de mauvaise surprise annonciatrice de catastrophes à redouter : le miracle se produit toujours tous les 27 juillet mais aussi, ainsi que les pèlerins peuvent le constater, lorsque le saint médecin guérit l’un ou l’autre des fidèles venus l’implorer, et ce quelle que soit la date et les conditions atmosphériques.
Un prodige inexpliqué
Généreux, les évêques de Rapallo vont profiter de ces liquéfactions pour récupérer quelques gouttes de ce sang qui seront transvasées dans des fioles de cristal et offertes à d’autres diocèses, entre autres Padoue et Madrid. Ce dernier présent est accordé au roi Philippe III d’Espagne qui confie le flacon du sang de Pantaléon aux religieuses du monastère de l’Incarnation qu’il a fondé dans sa capitale en 1611. Le sang du martyr rejoint un prodigieux trésor de plus de 700 reliques de saints ; on l’en extrait chaque 27 juillet en présence de centaines de fidèles, et souvent de membres de la famille royale, venus assister au prodige. Infailliblement, que ce soit à Madrid ou à Rapallo, le sang de Pantaléon, à la seconde près, devient liquide et rouge. S’il est certain qu’il s’agit bien de sang humain masculin, aucune explication n’a pour l’heure été trouvée au prodige.