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Je ne sais pas pour vous, mais il y a des jours où l’on aurait envie qu’éclate une musique joyeuse, en fanfare, comme ça, par surprise, gratuitement, sans raison autre que celle de faire trembler les corps d’un rythme qui les rende plus vivants. Quelque chose de ce que l’on éprouve par exemple en entendant le roulement de batterie et la clameur qui s’élève aux premières notes d’Obvious Child, de Paul Simon à Central Park... Un truc joyeux, vraiment sonore, vraiment heureux, la vie quoi, qui fait que quand vous êtes assis à votre bureau en train d’écrire, vous avez souvent la jambe qui se met à bouger toute seule…
La puissance d’une vie
C’est le printemps : je me souviens que, jeunes, en Bosnie, en descendant vers Sarajevo pendant la guerre, nous mettions ces musiques là à fond sur la radio de la voiture. C’était en avril ou en mai peut-être, il faisait beau aussi, chaud, nous nous sentions peut-être un peu immortels, mais ce n’est pas certain. Nous voyions autour de nous ce que la guerre peut provoquer de pire, mais nous croisions aussi les regards des enfants sur le bord de la route qui, à la vue des camions du convoi, imaginaient déjà le craquement de la pomme qu’ils allaient croquer bientôt. Nous accueillions les saluts de la main des femmes et des hommes qui se réjouissaient du café dont le parfum déjà revenait embaumer leurs mémoires. Dans les fumées des ruines encore chaudes, il y avait la mort. Mais, plus fort qu’elle, la puissance d’une vie que rien ne peut retenir.
Je souhaite de tout mon cœur à ceux qui roulent sur les routes d’Ukraine et des pays où le sang coule : que dans les ténèbres de l’Absurde infernal ils ne cessent d’une manière ou d’une autre de recevoir des signes de vie.
C’est ce que je souhaite de tout mon cœur à ceux qui roulent sur les routes d’Ukraine et des pays où le sang coule : que dans les ténèbres de l’Absurde infernal ils ne cessent d’une manière ou d’une autre de recevoir des signes de vie. Pour ne pas être englouti. Pour ne pas mourir vraiment.
Le rire du pauvre
Quelle musique laissons-nous raisonner en nous, en découvrant les chiffres effarants de la maltraitance et des crimes perpétrés contre ces enfants des « Premières Nations » canadiennes auxquels le pape François ira rendre hommage en juillet prochain ? Par quelle musique laissons-nous nos cœurs être touchés en entendant les récits de ces migrants qui payent de leur vie chaque jour sur nos côtes, l’abject silence dans lequel nos États veulent les submerger ?
Nous sommes placés dans un monde injuste non pour nous soumettre à cette injustice, mais pour y faire resplendir la Vérité de l’Évangile. C’est cette musique-là, au fond, que beaucoup attendent. Ils en trouvent l’écho dans les rythmes des instruments et dans les voix des artistes. Mais c’est bien le rire du pauvre qu’on aide à se relever, les murmures du malade que l’on visite, les soupirs de la victime d’iniquité, les râles même du mourant qui appelle sa mère, ce sont bien, oui, ces sons-là qui composent, additionnés les uns aux autres, une note de cette symphonie qui s’élève du monde entier et qui rend la vie non seulement possible mais belle. Et ce qui est magnifique dans ce grand bazar de la vie, c’est que nous puissions en être non seulement les témoins mais aussi, humblement, les révélateurs. Qu’éclate la musique de ce printemps où tout nous dit que l’hiver est proche mais où, au fond de nous l’inaltérable Espérance ne cesse de murmurer que, au final, c’est bien la vie qui vainc !