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Ukraine : le Vatican en eaux compliquées

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Jean-Baptiste Noé - published on 21/04/22
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Comme toutes les puissances diplomatiques, le Saint-Siège intervient dans la guerre en Ukraine pour tenter de dessiner des pistes vers la paix. Notre chroniqueur Jean-Baptiste Noé, auteur de “Géopolitique du Vatican” (PUF, 2015) explique la diplomatie vaticane : le Saint-Siège est impartial, il n’est pas neutre, il distingue les peuples et les États. Mais le conflit russo-ukrainien est singulier du fait de l’imbrication des enjeux politiques et religieux.

Dès le début du conflit entre la Russie et l’Ukraine, le Saint-Siège s’est tenu à une position qui est généralement la sienne lors des guerres : impartial, mais non neutre. Impartial, c'est-à-dire que le Vatican ne prend position pour aucun des partis : il n’est ni pour Kiev ni pour Moscou. En revanche, il n’est pas neutre : il s’engage dans le conflit en prenant position pour la paix et pour le règlement juste de la guerre, ce qu’il montre en prenant des positions publiques et en intervenant sur place. Ce positionnement a été notamment marqué lors du chemin de croix du Vendredi saint : la treizième station était réalisée par deux femmes, ukrainienne et russe, marchant côte à côte pour porter la même croix (impartialité) dans un appel à la fin des combats et à la construction d’une paix juste et durable (pas de neutralité). 

Une diplomatie de la prière

Cette action témoigne aussi d’une spécificité propre au Saint-Siège : la foi. La paix s’obtient certes par la négociation et la diplomatie, mais aussi par la prière : les moyens surnaturels doivent toujours aller de pair avec les moyens humains. Le chemin de croix n’est pas une action politique, mais spirituelle. Comme le jour de jeûne en faveur de la paix demandé par le Pape et, plus spectaculaire encore, la consécration de l’Ukraine et de la Russie au Cœur immaculé de Marie. Ce sont bien les deux pays qui ont été consacrés, dans une prière de demande et de confiance qui avait déjà été conduite par Pie XII et Jean Paul II. Cette dimension spirituelle de la diplomatie du Saint-Siège échappe à trop d’observateurs qui demeurent sur une logique purement humaine. Tous les papes ont accompagné leur diplomatie de pèlerinages, de messes, de prières, les hommes du Vatican chargés de la diplomatie étant d’abord prêtres avant d’être diplomates. Le Saint-Siège apporte ainsi sa spécificité et sa singularité : l’arme de la prière et de la foi. Omettre cela, c’est passer à côté de l’essentiel et de la nature même de la diplomatie pontificale.

Sur une ligne de crête

En parallèle des moyens surnaturels, les moyens humains. Humanitaire d’abord : le Pape s’est appuyé sur deux cardinaux envoyés spéciaux qui ont piloté l’acheminement de l’aide humanitaire à la frontière polono-ukrainienne afin d’apporter une assistance aux réfugiés. Diplomatique ensuite : appels répétés à la paix, conversations téléphoniques avec les patriarches de Moscou et de Kiev, activation de la diplomatie vaticane pour trouver des pistes de négociations. Officiellement, il n’y a eu aucun échange avec Vladimir Poutine.

La ligne fidèle du pape François sur la "diplomatie de la rencontre" et de la miséricorde. 

Le Saint-Siège s’est pour l’instant toujours gardé de condamner la Russie et de prendre position pour l’Ukraine. Non qu’il justifie l’invasion puisqu’il juge celle-ci illégale et qu’il réprouve l’attaque contre l’Ukraine. Mais il fait toujours la distinction entre le gouvernement et le peuple, la nation et les décideurs. S’il y a des responsables, notamment de crimes de guerre, ce sont ceux qui ont commis ces crimes, non le peuple russe. Le Saint-Siège refuse la ligne moralisatrice qui vise à englober tous les Russes dans la responsabilité des massacres. D’où son refus de condamner des athlètes ou des chefs d’orchestre russes. Le Saint-Siège est aussi convaincu que ce n’est pas en poussant un adversaire dans ses retranchements et en lui bloquant toute porte de négociation et de sortie que l’on règle un problème. Quoi que l’on pense de Vladimir Poutine, il faudra bien négocier avec lui s’il contrôle une partie du territoire ukrainien. Humilier l’adversaire et couper tous les contacts n’est jamais une bonne chose. C’est la ligne fidèle du pape François sur la "diplomatie de la rencontre" et de la miséricorde. 

Voir plus loin que l’instant

Dans une guerre où toutes subtilités sont effacées, où chacun est sommé de choisir un camp et d’être totalement pour l’un et totalement contre l’autre, cette ligne de crête est difficile à tenir. Encore plus dans le cas du conflit ukrainien où s’imbrique la question religieuse entre orthodoxes rattachés à Moscou ou à Kiev et gréco-catholiques fidèles à Rome. L’initiative du chemin de croix a ainsi été vivement condamnée par l’Ukraine, tant par le gouvernement via l’ambassadeur près le Saint-Siège que par les autorités religieuses. Ils ont estimé que mettre côte à côte une femme russe et une femme ukrainienne consistait à mettre sur le même plan l’attaquant russe et l’agressé ukrainien et à nier la responsabilité de la Russie. Ce qui devait être un moment de prière et de fraternité universelle est donc devenu un motif de discorde et de séparation.

Le pape François est pourtant fidèle à lui-même dans son refus de dresser des murs et de combattre la guerre mondiale "par morceaux". L’action de la diplomatie du Saint-Siège est aussi de préparer la reconstruction de l’après-guerre, reconstruction de l’Ukraine et reconstruction de l’Europe. Ce qui devra reposer sur une paix juste, sur la réconciliation et sur le respect du droit international. Des mots qui sont peut-être inaudibles en temps de guerre, mais que le Saint-Siège met en avant afin de ne pas aboutir à une paix armée qui ne pourrait être que l’antichambre de nouvelles guerres.  

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