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Vous connaissez sûrement le mythe de Prométhée ? Repris par Platon dans le dialogue Protagoras, on y apprend comment Zeus amena à l’existence l’espèce humaine, puis comment il chargea Prométhée de pourvoir les humains de tous les dons et qualités nécessaires pour affronter la dureté de la vie, comment Prométhée confia cette tâche à son frère Épiméthée, et enfin… comment Épiméthée se débrouilla tellement inconsidérément qu’il dota les animaux de toutes sortes de poils, plumes, griffes et crocs bien utiles pour se débrouiller dans la nature, mais oublia les humains qui se trouvèrent peau nue, sans becs ni sabots, à découvert et sans défense : beaucoup de besoins, mais peu de moyens !
Le sens politique
Quelle intelligence que cet esprit grec ! Car c’est bien notre condition humaine… Mais l’histoire ne s’arrête pas là : Prométhée, pour secourir les humains si démunis naturellement, alla voler aux dieux le feu et les arts. Et voilà les humains devenus experts dans des domaines techniques bien utiles, les voilà capables de se fabriquer des outils et des machines. Mais il ne suffit pas de savoir construire des maisons pour les uns, fabriquer du pain, ou recoudre des chaussures pour les autres, si personne n’est capable de s’entendre, et de bénéficier des compétences de chacun. Voyant ces humains habiles au travail mais incapables de s’entendre, en conflits perpétuels, Zeus décida d’intervenir lui-même et de leur donner… le sens politique.
Mais fallait-il le donner à quelques élus, ou l’accorder à tous ? fallait-il en faire la spécialité de quelques-uns, de même que certains sont cordonniers, d’autres architectes, ou d’autres informaticiens ou au contraire le distribuer universellement ? Telle est bien la question qui anime la culture grecque : qui est compétent en matière de justice sociale, de bien commun, de choix portant sur l’avenir d’un peuple ? les sachants ? les experts ? les technocrates ? ou tout un chacun, vous et moi ? Réponse (par la bouche de Zeus !) :
Comprendre ce qui est juste et ce qui unit
Et voilà ! Belle et exigeante leçon de démocratie qu’on ne saurait mépriser à la veille des élections, qu’on soit candidat ou électeur. Personne n’est compétent pour juger de la pertinence de tous les points spécifiques d’un programme, reconnaissons-le. Qui peut se prétendre expert en agriculture ? les agriculteurs. En fiscalité ? les fiscalistes. En centrale nucléaire ? les ingénieurs. Les compétences reconnues de tel électeur en matière de chirurgie dentaire, ou d’horticulture par exemple, ne le rendent pas capable de se prononcer pour autant efficacement sur la question de l’administration pénitentiaire, tout simplement parce qu'il n’y connaît pas grand-chose et ne peut pas tout savoir sur tout… En revanche, c’est en vertu d’une autre qualité qu’il pourra le faire : le sens de la justice et de la tempérance.
Voilà l’intemporelle leçon de vie donnée par la pensée grecque : nous pouvons vivre ensemble, choisir notre destin commun, en délibérer, parce que nous sommes tous en capacité de comprendre ce qui est juste et ce qui ne l’est pas, ce qui divise les hommes ou ce qui les unit. Mais à quelle condition ? Pour autant que nous ne renoncions pas à mettre en pratique cette "vertu de tempérance" sans laquelle la paix sociale est impossible. Ce qui signifie ? Chercher le juste milieu, éviter les extrêmes, tout simplement parce que la satisfaction durable ne peut se trouver dans les excès, quels qu’ils soient… Déterminons-nous non seulement par rapport à notre domaine de compétence, celui qui nous tient le plus à cœur, mais cultivons et exerçons ce sens de la justice, ce sens des autres, ce bon sens du juste milieu, voilà la saine leçon qui a traversé les siècles : "Quand on délibère sur la politique, tout repose sur la justice et la tempérance."