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Le frère que Dieu nous désigne

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Benoist de Sinety - published on 06/02/22
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Tous les dimanches, le père Benoist de Sinety, curé de la paroisse Saint-Eubert à Lille, commente l’actualité de l’Église et du monde. Dans une société qui oublie Dieu, observe-t-il dans les débats politiques du moment, la tentation est grande de se prendre chacun pour un dieu et d’oublier l’autre.

Dans le brouhaha qui sert de débat présidentiel et les agitations qui masquent pauvrement l’absence de projet, les anathèmes semblent tenir lieu d’art oratoire. Rien ne nous sera donc épargné : ni les larmes des trahisons familiales, ni les vociférations de ténors en mal de voix. Les règlements de compte sont grossiers et les couteaux dans le dos n’ont même plus l’esthétique florentine de jadis… On dira qu’il en fut toujours ainsi, que le combat politique réclame cette forme de violence qui après tout, en anesthésie une autre, plus physique et donc plus condamnable… On se console comme on peut. Mais d’où vient alors ce sentiment étrange d’une médiocrité infinie qui se dégage également de chacun de ceux qui s’ébrouent sur la scène publique ? Sinon peut être que l’intérêt particulier, qui semble les animer de plus en plus clairement, nous laisse entrevoir qu’ils sont en fait un reflet dérangeant de chacun d’entre nous.

Être son propre dieu

Il n’est peut-être pas anodin non plus qu’au moment où l’on batte campagne, on choisisse de rendre hommage à l’immense Molière en donnant une pièce qui tient d’ailleurs plus de la tragédie que de la comédie, et qui donne son nom à bien de nos héros de tous bords : Tarfuffe. Le récit est connu, un dévot, qui n’en est pas moins homme, entre dans la vie de braves gens pour mieux les posséder. Il les envoûte, les dresse les uns contre les autres, les mène sur les chemins du mensonge, de la trahison des liens les plus sacrés, pour les laisser en pleine déraison. Avant d’être démasqué et de disparaître…

Le malheur est bien là : ayant relégué Dieu dans des horizons oubliés, loin de nous en passer, nous en multiplions les visages en le défigurant.

Le malheur est bien là : ayant relégué Dieu dans des horizons oubliés, loin de nous en passer, nous en multiplions les visages en le défigurant. Chacun, désormais, cherche à en tenir lieu, s’estimant digne de tout et excommuniant sans vergogne quiconque y trouverait à redire. Être son propre dieu, pourquoi pas ? Voilà le moyen de rendre légitime la satisfaction de mon être avant de me soucier du bien d’autrui… Les chrétiens eux-mêmes peinent à résister à ce vertige-là. Condamner, juger et condamner encore, critiquer toujours : mais aimer ?

Ce Jésus qui dérange

C’est qu’on ne voit du Tout Puissant, lorsqu’on le réduit à sa petite échelle, que le Barbu d’antan dont le regard devait pétrifier le coupable, et le bras anéantir tout récalcitrant. On oublie que ce visage-là, archaïque ou païen lorsqu’il n’était qu’esquissé, s’est en fait, un jour de notre Histoire, incarné en Jésus. Et que le propre du chrétien n’est pas de s’agiter comme une divinité antique mais de refléter la Parole du Verbe de Nazareth. Celui qui choisit de s’exprimer du milieu des nations et préfère contre toute attente la compagnie ardente des prostituées et des publicains plutôt que les mondanités des grands prêtres de cour. Ce Jésus qui dérange autant l’Église que le monde car il renvoie l’une à sa mission, l’autre à sa destinée. Ce Jésus qui oblige à ne jamais oublier le nom des petits lorsque les grands nous flattent. Afin que les premiers puissent être pour les autres instruments de Salut. Il est assez triste, de manière prosaïque, que le centre de tout débat, de toute action, de tout projet, ne soit pas celui que le doigt de Dieu nous désigne sans cesse, avec obstination : le frère, et d’abord celui que nos colères ou nos peurs, notre orgueil et notre aveuglement fait disparaître de nos regards. Car alors, de qui nous viendra le Salut ?

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