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Dans un texte "exclusif" publié mardi 21 décembre sur le site de L’Express, le président Emmanuel Macron ausculte le rapport entre science et religion. Son propos mérite d’être lu, même s’il n’est sans doute pas de sa main. Malgré un côté "philo" un peu pontifiant, le chef de l’État renseigne sur les principes guidant son action. Il baptise son texte "réenchanter le monde". Pour être franc, il s’agit d’un titre de presse. On ne voit rien d’enchanteur dans sa réflexion. La phrase en exergue est accrocheuse : "Ce en quoi je crois". Mais ne nous méprenons pas : à quelques jours de Noël, ce en quoi je crois n’a rien à voir avec ce en qui je crois, ni même ce que je crois, titre célèbre sous lequel s’épanchèrent maints écrivains. Cette phrase ne fait référence à personne, à aucune personne. Ce qui est bizarre, c’est qu’on ne la retrouve pas dans le texte. Passons.
L’hydre du complotisme
Le propos présidentiel se divise en trois parties distinctes. La première est assez neutre. Elle commence par une pétition de principe : "Jamais, sans doute, l'humanité n'a eu autant besoin de science." Emmanuel Macron pense au Covid car "sans la science, […] nous aurions à déplorer beaucoup plus de décès". Un syllogisme se met en place dans l’esprit du lecteur : puisque la science est du côté de la vie, ceux qui la critiquent sont porteurs de mort, et par conséquent, il convient de les empêcher de nuire. Cela, c’est le cœur du message, son intention profonde. Cette rhétorique, nous la retrouverons dans la deuxième partie du texte.
Emmanuel Macron enchaîne de manière un peu brusque sur "le défi du siècle", le réchauffement climatique. Il constate ensuite la "part croissante de la science dans le cours du monde". Partant de là, le président loue l’effort budgétaire de la France et de l’Union européenne pour rattraper leur retard dans le domaine de la recherche et gagner tous les défis, écologique, énergétique, numérique, spatial, etc. Cette première partie sert à préparer le terrain à une deuxième séquence, axée sur une idée forte, énoncée dans le paradoxe suivant : "Parallèlement à l'augmentation du besoin de science, écrit-il, la remise en cause du discours scientifique n'a cessé de se développer dans nos sociétés." C’est ce paradoxe "culturel" qui tourmente le chef de l’exécutif. Emmanuel Macron passe alors en chef de l’exécution pour désigner un ennemi : le "complotisme". Sa plume trempe dans l’acide pour mobiliser toutes les énergies afin de décapiter cette hydre dont l’une des têtes est l’intégrisme religieux "et ses explications totalisantes qui privilégient la foi sur la raison, la croyance sur le savoir et excluent le doute constructif". On sent que le président attend avec impatience les propositions que lui fera mi-janvier la commission (anti fake-news) Bronner. Ce collectif de quatorze experts, piloté par le sociologue Gérald Bronner, planche depuis l’automne sur les moyens de "faire reculer le complotisme".
Et Dieu dans tout ça ?
Dans la troisième partie, le chef de l’État se fait moins nerveux, sans doute pour déminer l’hostilité qu’il pourrait rencontrer de la part de religions. Après la répression annoncée, il relâche la pression. "Et Dieu dans tout ça ?" en est la phrase liminaire, comme si ce dont on allait parler à présent devenait secondaire. Emmanuel Macron se fait plus prévisible, la ligne suivie étant celle qu’on connaît : il juge "souhaitable" que la raison et la religion puissent "vivre côte à côte, parfois même se nourrir". Le terme "cohabitation", cité plusieurs fois, en est le principal élément de langage. Nous y reviendrons. Depuis le début du quinquennat, l’homme dit croire à l'existence d'"une transcendance". Ne va-t-il pas au-devant des questions religieuses en rencontrant les communautés juive, musulmane, catholique et, plus récemment, protestante ? Grâce à la laïcité qui "rend possible cette riche cohabitation", la France "continuera à être une nation infiniment rationnelle et résolument spirituelle. Nation de citoyens libres de critiquer et libres de croire", conclut-il. Ce texte soulève pas mal d’inquiétudes.
Il n’y a pas de but, il n’y a qu’un chemin
La première tient à l’absence de définition, ce qui autorise toutes les manipulations. Qu’est-ce que la science ? Emmanuel Macron la perçoit comme neutre, forcément libératrice, pourvoyeuse d’un sens de l’histoire. Les acquis de l’expérience reproductible se transforment en démarche intellectuelle, en manière de se départir des attaches superstitieuses. On retombe dans la vieille ornière des Lumières. Cette vision naïve et idyllique de la science est très insuffisante. Car le problème, c’est moins la science que l’usage que l’on en fait. Et sur ce terrain du discernement, c’est-à-dire de l’éthique, donc du politique, le chef de l’État ne dit rien. Absolument rien. Or, c’est bien la science qui permit d’exterminer massivement des populations choisies. De la chimie au nucléaire, ce qui embarrasse l’homme contemporain, c’est tout ce qu’il peut faire grâce aux moyens qu’il se donne et qui peuvent être destructeurs et discriminants. Plus la science progresse, plus devraient augmenter nos cas de conscience. Les techniques de traçage et de chasse permettent de condamner à la mort sociale qui le pouvoir choisit d’éliminer. Les personnes non-vaccinées seront-elles les boucs-émissaires du progrès scientifique en marche ? Il faut relire l’œuvre d’un Élias Canetti sur la vision cynégétique : comment on sort un ennemi du champ social jusque du champ de l’humanité.
Dans ce texte apparaît le rapport d’Emmanuel Macron à la vérité. Il n’y en a aucun. Certes, il cite Rabelais postulant que "la science ne vaut [...] que lorsqu'elle est éclairée et guidée par les sciences humaines, la philosophie, le politique et s'inscrit dans un débat démocratique visant à construire l'intérêt général". Mais sans autre précision. Or, la science est comparable à un océan en furie. Ce qu’on attend d’un capitaine, c’est de garder le cap. Son seul point de repère véritable gît dans la phrase de Gaston Bachelard : "Rien ne va de soi, rien n'est donné, tout est construit." En clair, il n’y a pas de but, il n’y a qu’un chemin. La science est ce chemin que l’homme trace sans savoir où il va. Cette considération est un aveu ou un choix d’impuissance sur les choses et les pratiques. En politique, on appelle cela une démission.
Le savoir scientifique n’est pas extérieur au langage, à l’esprit de l’époque.
Emmanuel Macron dit récuser tout "positivisme forcené" mais ne tire pas la leçon d’un tel énoncé : la science postule la croyance. On sait qu’il faut croire pour comprendre. Or il fait de la science une sorte de sphinx. Cette idée est dépassée. La science n’est pas une finalité mais une activité, laquelle obéit à des modes, est investie par des passions, et toutes sortes de contingences matérielles, opportunistes et mercantiles. Le savoir scientifique n’est pas extérieur au langage, à l’esprit de l’époque. On en revient toujours au même point : quel usage en faisons-nous ? Où sont les critères de discernement ? Silence radio.
Cohabiter avec l’absolu ?
Après un développement sur le complotisme, qui vaudrait un long commentaire, un mot à présent sur la troisième partie du texte d’Emmanuel Macron. Il vaudrait en soi de longues digressions. Commentons juste cette phrase : "Oui, la science et Dieu, la raison et la religion peuvent donc vivre côte à côte, parfois même se nourrir." L’idée paraît généreuse. Le problème, c’est qu’elle est fausse. La raison n’est qu’un outil dont la particularité est qu’elle a conscience de ses limites. Elle conçoit ce qu’elle ne peut atteindre, s’arrête au bord mystère qu’elle touche. Elle est donc en-dessous de la religion qui fait un saut dans l’inconnu, celui de l’Amour infini pour les chrétiens. On sait depuis longtemps que la raison sans la foi est aveugle et que la foi sans la raison est folle. Les opposer ou les faire cohabiter n’a pas de sens. Elles se rendent service mutuellement et dépérissent si on les sépare. On ne cohabite pas avec l’absolu, on s’ouvre au vertige qu’il provoque en nous. Toute cohabitation se retourne contre la religion. Celle-ci se trouve alors arraisonnée à un outil minuscule qui ne dit rien et ne peut rien dire de l’infini. Soit une religion domine, soit elle disparaît.
La loi sur le séparatisme adoptée en août ne présage même pas d’une cohabitation pacifique mais dispose, par un régime quasi-similaire à celui de l’autorisation, que l’on revienne sur les acquis de 1905. Les décrets attendus début février seront saignants pour les cultes dont certains, comme les musulmans, ne savent pas comment ils pourront honorer les nouvelles normes comptables. Emmanuel Macron serait-il ainsi bipolaire quand il prévoit de faire l’inverse de ce qu’il fait publier dans L’Express ? De la vision macronienne se dégage en fait une inspiration managériale et consumériste, marquée par la hantise du camp laïcard de voir la religion républicaine, vide de sens métaphysique, concurrencée par les religions historiques. Sa posture naît d’un refus, malgré les précautions oratoires qu’il prend et l’agilité intellectuelle dont il fait preuve. Pour sortir par le haut, il faudrait s’entendre sur ce que dominer veut dire quand on parle d’une religion. Il ne s’agit pas d’écraser, d’opprimer, de massacrer ou de corrompre, même si les exemples anciens ou récents donnent à penser que l’homme clérical laissé à lui-même est dangereux. Dominer, c’est faire infuser dans les cœurs, les esprits et les mœurs une prédisposition à l’absolu. C’est accepter que l’homme ne soit pas un modèle réduit. Et si réenchanter le monde, c’était ça ?