Être visionné par un milliard de personnes : voilà l'objectif fou de la série "The Chosen". Hors normes, elle l’est incontestablement par son ambition mais ce n'est pas tout. La production espère porter à l’écran en sept saisons la vie de Jésus et le parcours de personnages bibliques rencontrés au détour d'une page. Autre défi, réussir la prouesse en comptant exclusivement sur les spectateurs : exit donc Hollywood ainsi que les sociétés de productions américaines qui ont pignon sur rue. Sans oublier le choix de diffuser la série en dehors des circuits classiques de distribution. En effet, ce n'est ni sur une chaîne de télévision ni chez un des géants de la distribution comme Netflix que les spectateurs peuvent retrouver les huit épisodes de chaque saison. La série est disponible sur la plateforme VidAngel et sur l'application The Chosen, qui appartiennent à la même société de diffusion : Angel Studios.
Ce qui fait de la production, un véritable ovni dans l'univers des séries. Pourtant, près de deux ans après la sortie du premier épisode, "The Chosen" a su s'imposer. L’application développée par VidAngel totalise plus de 5 millions de téléchargements sur Google Play. Sur YouTube et Facebook, la première saison diffusée en 2019, cumule plus de 9 millions de vues. Et toute plateforme confondue, elle engrange quelque 300 millions de vues. La saison 2 a elle aussi rencontré un immense succès à sa sortie au printemps 2021. La troisième saison, attendue en 2022, est en cours de financement.
Viens et vois
"The Chosen", c’est d’abord une expérience visuelle inédite. À ceux qui se sont déjà demandé à quoi ressemblait la vie des frères Simon et André avant leur rencontre avec Jésus ou quelles décorations avaient pu orner la réception des noces de Cana, la série propose une reconstitution qui a de quoi convaincre. "Après tout, un texte ne peut pas capturer toutes les émotions", commente le père Jim Chern, aumônier catholique de Montclair State University (New Jersey) et fidèle spectateur. Il entend d'abord parler de la série quelques mois après sa sortie en 2019. Pourtant, il va attendre quelque temps encore et la recommandation de son accompagnateur spirituel pour se lancer.
Contrairement à d'autres productions sur la vie du Christ, avec The Chosen on peut suivre tout ce qui a conduit à la crucifixion. Le quotidien de Jésus et des disciples, les petites choses, vraiment. Ça donne ce sentiment très chaleureux… cosy quoi.
Au fil des séquences, il est saisi par la beauté de la mise en scène : "Je rejoins ceux qui trouvent que la série a quelque chose de la spiritualité ignatienne. Quand vous regardez "The Chosen", vous êtes comme projetés dans la scène évangélique parce que la série essaye de recréer de manière vraisemblable l’ambiance, les bruits, bref ce à quoi la vraie scène aurait pu ressembler". L’imagination – un des ressorts de la lectio divina chez saint Ignace de Loyola – permet aux scénaristes de proposer une explication au surnom "Fils du tonnerre" que Jésus donne aux frères Jacques et Jean ou encore d'imager un verset peu descriptif. Et ce soin de l'esthétique séduit : "Je pense tout particulièrement à la rencontre de la Samaritaine et du Christ, explique l’aumônier étudiant. L’épisode m’a mis les larmes aux yeux, c’était tellement beau et touchant."
Je rejoins ceux qui trouvent que la série a quelque chose de l'approche imaginative de la spiritualité ignatienne. Elle tente de recréer de manière vraisemblable l'ambiance, les bruits... Vous êtes comme projetés dans la scène évangélique.
L’œil expert d’Hubert de Torcy, directeur de Saje Distributions, a également été bluffé. "La qualité de la photographie, des costumes, des décors, le jeu des comédiens…", les réussites sont nombreuses. En découvrant la production américaine, il perçoit immédiatement le potentiel de la série : une production capable de rassembler un public de croyants et de non-croyants. Chez les premiers, c’est "le côté neuf qui met en exergue une foule de personnages apparaissant parfois furtivement dans la Bible" qui va plaire. Pour les seconds, le directeur parie sur "le scénario qui renferme une multitude d’intrigues et une multitude de personnages à qui il arrive des tas de choses". Tous les ingrédients pour faire une série "palpitante, addictive et très grand public" sont là.
Un modèle inédit
Le public justement, constitue une des forces du phénomène "The Chosen". Pas simple spectateurs, pas tout à fait producteurs mais une multitude de collaborateurs précieux. En effet, c'est le financement participatif – 10,3 millions de dollars collectés – qui a permis de produire la saison 1. Il en a fait par la même occasion la production cinématographique (film et série compris) la plus crowdfundée de l’histoire.
Aujourd’hui encore, le père Jim Chern, et d'autres spectateurs, continuent d'avancer les fonds nécessaires à la production. En effet comme la première et la deuxième saison, 10 millions de dollars doivent être récoltés pour financer la troisième saison. Si à l'heure actuelle la somme n'a pas encore été rassemblée, le tournage est déjà lancé. Pour développer ce système, le réalisateur Dallas Jenkins s’est associé à Angel Studios. L'entreprise est notamment spécialisée dans le financement participatif de production audiovisuelle. La société, qui possède aussi une plateforme VOD, lance à l’automne 2019 une application inédite dédiée à la série. Son but ? Permettre aux utilisateurs de visionner les épisodes de "The Chosen" dès leur mise en ligne, rendant ainsi la série accessible gratuitement et sur tous les continents.
C’est cet atout qui a séduit de nombreux fans comme Sonja, étudiante sud-africaine en marketing, qui vit à Dubaï. Sur les conseils de son pasteur puis d’une amie, elle a téléchargé l’appli. Et en quelques jours, comme pour toute bonne série, elle a visionné l’intégralité de "la saison 1 et la saison 2". "Sur l’app, je peux suivre l’avancée de la collecte de fonds, des tournages, et tout cela grâce aux dons d’autres personnes. Si cela n’avait pas été gratuit, des étudiants comme moi, ou d’autres personnes qui n’ont pas forcément les moyens de contribuer n’auraient pas commencé à regarder la série". Ce qui aurait été dommage pour la jeune femme qui considère aujourd'hui la production comme une "bénédiction dans son quotidien".
Hubert de Torcy analyse également ce modèle économique décalé comme une innovation à part entière. "Il y a là un cercle vertueux. Les producteurs ont récupéré beaucoup de moyens puis ils ont mis à disposition la série ; ce qui a multiplié l’audience. Maintenant, ils peuvent s’appuyer sur cette audience pour financer la suite. Ils ont innové au niveau des modèles de distribution, de financement et de production". Après un rendez-vous manqué avec le public en 2017 – la production de son dernier film avait failli le ruiner – Dallas Jenkins a donc fait un choix gagnant en misant sur un système qui sort des sentiers battus.
Grands moyens pour la Mission
Support de catéchèse, reconstitution historique ou documentaire ? Les inspirations multiples d'un série qui entend se baser sur la Bible tout en gardant une certaine licence artistique constituent également un des pas de côté de ses créateurs. Conscient d'être sur une ligne de crête, le producteur Dallas Jenkins n'a pas hésité à s'entourer de conseillers religieux. Le chrétien évangélique a pris l'habitude de consulter un pasteur, un prêtre et un rabbin avant le tournage de certaines scènes. En effet, s'il rappelle que la série est une œuvre de fiction, elle est pour le réalisateur une contribution dans la Mission. "Dieu a placé dans mon cœur la conviction profonde que travailler sérieusement sur ce projet était un des appels les plus importants qu'il m'ait jamais adressé", a-t-il partagé dans une vidéo.
Pour moi, l'autre succès de la série, c'est de donner un espace qui permette une rencontre avec le Christ.
L'un des slogans de la série #BingeJesus [dérivé de binge-watching qui signifie enchaîner les épisodes d'une série, Ndrl] retranscrit bien le désir du producteur qui veut que ses spectateurs "découvrent la Bible" ou même "qu'ils deviennent de nouveau ardents dans leur foi". Quand elle se confie à Aleteia, Sonja reconnaît que ce renouvellement a été au rendez-vous pour elle. "En regardant l’épisode 1, j’ai redécouvert le verset d’Isaïe : “Ne crains pas, car je t’ai racheté” (Is 43, 5). Il me rappelle que chacun de nous est formé, modelé par le Seigneur. Et je cherche à m'en rappeler tous les jours. Il y a tant de choses que tout un chacun peut retirer pour sa propre vie !"
Même son de cloche chez le père Jim Chern. Une fois n'est pas coutume, celui qui est prêtre depuis 22 ans a décidé, pendant un semestre, de s'appuyer sur la série pour aider ses étudiants à se replonger dans la Parole de Dieu. Une des soirées projection-enseignement l'a profondément marqué : "À l'issue d'un visionnage, un étudiant m’a dit : “Quand Jésus prend Nicodème dans ses bras, je me dis que j’aimerais aussi pouvoir faire l’expérience de Sa présence en vrai”. Alors je lui ai répondu : “As-tu déjà pensé que l’Eucharistie c’était ça au fond ? Dieu qui se fait tout proche de toi ? ” J'ai vu de la surprise dans ses yeux. "
Ces révélations ou ces moments de retournement dans la foi, les créateurs de la série ne se privent pas de les partager. Il faut dire que des témoignages similaires abondent sur les réseaux sociaux. Et le lancement par l'équipe de production de séances de projection planétaires sur YouTube et Facebook – au début de la pandémie – n'ont fait que booster ces partages très personnels.
À la conquête du monde
En 2020, Jonathan Roumie –l'acteur qui joue le rôle de Jésus dans la série– se distingue dans la catégorie 'meilleure interprétation masculine' du Grace Award. En 2021, c'est la série qui décroche le prix de la 'production la plus inspirante' au K-Love Awards. Deux récompenses aussi populaires que les Oscars dans les milieux chrétiens aux États-Unis.
Dans le même temps, la presse mainstream découvre peu à peu l'engouement autour du phénomène. Mais se pose la question de l'avenir car, à l'horizon, il reste cinq saisons à financer et à tourner. Ce qui signifie aussi tenir la distance pour continuer à mobiliser un large public pendant plusieurs années. Un véritable défi à en croire les spécialistes du genre : "Le héros type a nécessairement des problèmes et des faiblesses, il connaît des évolutions pour se transformer et se réaliser. À la fin d'un film il n'est donc plus tout à fait le même qu'au début." Quid de la figure de Jésus, Dieu fait homme ? Le prisme choisi par les producteurs pour raconter "The Chosen", c'est-à-dire, suivre la vie et le regard décalé des personnes qui ont connu Jésus et dont l'existence a été transformée à son contact, portera-t-il la série jusqu'à sa conclusion ?
Il est plus difficile de réaliser une production sur Jésus car il n'évolue pas. Puisqu'il est Dieu, il est parfait au début et le reste à la fin, ce qui, dans l'art du scénario, va à l'encontre du principe même de héros.
À l'heure actuelle, la production se déploie à l'international. En France, le grand public pourra découvrir la première saison en prime time sur C8 et Mycanal.fr les 20 et 27 décembre. Saje Distribution et Canal + Séries se sont en effet offert l'exclusivité de cette première saison en voix françaises. Une dynamique qui vaudra peut-être à la série le succès Outre-Atlantique.