L’Évangile du deuxième dimanche de Carême (Mt 17, 1-9) nous rappelle que que comme Jésus, le chrétien est destiné à être transfiguré. Cette illumination de tout son être par l’Esprit, même si elle sera consommée dans l’au-delà, commence néanmoins dès maintenant. En ce second dimanche de Carême, l’épisode de la Transfiguration nous invite à nous interroger au sujet de notre destinée glorieuse. En effet, en tant que cohéritiers du Christ, nous sommes appelés à partager la même condition que lui. Le Verbe, en s’incarnant, est venu dans notre condition pour que nous parvenions dans la sienne. Or, la Transfiguration lève le voile sur la densité de gloire que le Christ possède en tant que Fils de Dieu – gloire que Dieu nous a destinés à partager. Bien sûr, la lumière qui irradiera de nos corps ne proviendra pas de nous-mêmes : elle reflétera plutôt la lumière divine. Seul le Christ est la source de l’irradiation glorieuse de son corps.
Cependant, cela ne signifie pas que notre transfiguration sera une glorification au rabais, car Dieu nous a promis que nous partagerons le même sort que son Fils : “Celui qui a ressuscité le Seigneur Jésus nous ressuscitera nous aussi avec Jésus et il nous placera près de lui avec vous” (2 Co 4, 14). Ces précisions étant posées, la question se pose de savoir si notre transfiguration interviendra à la fin des temps, ou bien si elle n’a pas déjà mystérieusement commencé.
La transfiguration du monde nouveau
Dans sa première lettre aux Corinthiens, saint Paul affirme qu’« elle passe, la figure de ce monde » (1 Co 7,31). Par cette expression, l’Apôtre veut dire que le temps nous est compté, que le monde tel que nous le connaissons n’est pas éternel. Mettre ainsi l’accent sur la précarité de notre condition, n’est-ce pas reporter notre transfiguration à plus tard ? Une telle conclusion serait dans la logique des choses. D’autant plus que les faits la corroborent : ici-bas, nos corps restent toujours passibles, soumis à de multiples maux et contrariétés. Dans ces conditions, comment pourrions-nous être déjà “transfigurés” ?
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Suivant le fil du même raisonnement, Paul certifie que notre présent est un enfantement dans la douleur d’un état glorieux qui concrétisera notre délivrance future : “Toute la création, en attente, aspire avec impatience à la manifestation de la gloire des fils de Dieu. […]. La création tout entière gémit jusqu’à ce jour en travail d’enfantement. Elle n’est pas seule : nous aussi, qui possédons les prémisses de l’Esprit, nous gémissons intérieurement dans l’attente de la rédemption de notre corps” (Rm 8, 19-23). Dans ce texte, Paul semble vouloir accentuer le contraste entre la vie présente et l’éternité promise, comme si notre transfiguration était remise à plus tard : “Car la légère souffrance d’un instant nous prépare jusqu’à l’excès une masse éternelle de gloire, à nous qui ne regardons pas aux choses visibles, mais aux invisibles ; les choses visibles, en effet, n’ont qu’un temps, les invisibles sont éternelles” (2 Co 4,17-18). Dans l’épître aux Philippiens, l’apôtre enfonce le clou, en réservant notre transfiguration pour le monde à venir : “Pour nous, notre cité se trouve dans les cieux, d’où nous attendons ardemment comme sauveur le Seigneur Jésus Christ, qui transfigurera notre corps de misère pour le conformer à son corps de gloire, avec cette force qu’il a de pouvoir se soumettre toutes choses” (Ph 3, 20-21). Même thèse dans la lettre aux Colossiens, où Paul soutient que notre glorification se révélera à la Parousie : “Quand le Christ sera manifesté, lui qui est votre vie, alors vous aussi vous serez manifestés avec lui pleins de gloire” (Col 3, 4).
La transfiguration, c’est maintenant !
La cause semble entendue : notre transfiguration est remise à plus tard ! Cependant, plusieurs passages des lettres de Paul affirment au contraire qu’elle a déjà commencé. Dans la seconde lettre aux Corinthiens, il écrit : “Et nous tous qui, le visage découvert, réfléchissons comme en un miroir la gloire du Seigneur, nous sommes transfigurés en cette même image, allant de gloire en gloire, comme de par le Seigneur qui est Esprit” (2 Co 3, 18). Au fond, n’est-il pas dans l’ordre des choses que le chrétien, qui communie au Corps du Christ et reçoit dès maintenant les arrhes de l’Esprit qui transfigura jadis Jésus sur le mont Thabor, reflète lui aussi la lumière qui inonda son Maître sur la haute montagne ?
Cependant, la transfiguration actuelle du chrétien est surtout intérieure. Voilà pourquoi elle ne n’apparaît pas extérieurement. Dans le monde présent, elle reste cachée : « Même si notre homme extérieur va vers sa ruine, notre homme intérieur se renouvelle de jour en jour » (2 Co 4, 16). Pour Paul, pour parvenir à cette rénovation de notre être, il s’agit de revêtir dès maintenant le Christ : “Il vous faut abandonner votre premier mode de vie et dépouiller le vieil homme qui va se corrompant au fil des convoitises décevantes, pour vous renouveler par une transformation spirituelle de votre jugement et revêtir l’Homme Nouveau qui a été créé selon Dieu dans la justice et la sainteté de la vérité” (Ep 4, 22-24).
Devenir lumineux comme le Christ
Ainsi, cette transfiguration qui se manifeste dans notre vie présente est-elle le fruit de l’Esprit de sainteté qui nous configure au Christ : “Car si c’est un même être avec le Christ que nous sommes devenus par une mort semblable à la sienne, nous le serons aussi par une résurrection semblable” (Rm 6,5). Dans ce passage, l’Apôtre parle de notre condition présente, car plus loin il parle de notre mort comme étant la « mort au péché ». Aussi notre résurrection, par symétrie, est-elle déjà mystérieusement commencée dès lors que nous vivons de façon nouvelle, selon l’Esprit. Notre transfiguration lumineuse commence bien dès ici-bas à condition de vivre selon les mœurs du Christ : « Jadis, vous étiez ténèbres, mais à présent vous êtes lumière dans le Seigneur ; conduisez-vous en enfants de lumière. Or le fruit de la lumière consiste en toute bonté, justice et vérité » (Ep 5, 8-9). Nous voilà prévenus au sujet de ce que nous devons faire pour rayonner dès maintenant comme le fit Jésus sur le Thabor !
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