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Voici que Jésus est transfiguré sur le Thabor (Mt 17, 1-9). Autour de lui sont apparus Moïse et Élie. Devant eux, Pierre, Jacques et Jean assistent à la scène, ébahis. Dans l’Évangile, ce récit est encadré par les deux premières annonces de la mort du Christ. On comprend bien la pédagogie de Jésus : la Transfiguration est une manière, pour Jésus, d’annoncer à ses disciples qu’il va passer par la souffrance et la mort, mais que c’est pour mieux ressusciter dans la gloire. Il s’agit de préparer et fortifier les disciples dans la perspective de la Croix.
En vue du témoignage de la Résurrection
En réalité, les disciples sont surtout préparés par Jésus à sa Résurrection. Pierre et Jean, en particulier, doivent être sur le Thabor, pour attester le jour venu que Jésus ressuscité dans son corps glorieux était bien ce même Jésus qu’ils avaient vu transfiguré. Car ce sont eux qui seront en première ligne à la Résurrection, après Marie-Madeleine. À vrai dire, Pierre et Jean sont bien deux témoins majeurs, mais leur attitude à chacun n’est pas la même au cours de cette séquence où se succèdent la Transfiguration, la Cène, la Passion et la Résurrection. Dans ces quatre événements, il s’agit du corps de Jésus. Il s’agit ce que ce corps de Jésus provoque comme réaction chez Jean et Pierre.
Lors de la Transfiguration, Jean regarde le corps transfiguré de Jésus et adore, tandis que Pierre s’agite et propose d’installer trois tentes. Lors de la Cène, Jean se penche sur la poitrine de Jésus pour écouter les battements de son cœur, tandis que Pierre refuse d’abord de se faire laver les pieds puis réclame de se faire laver les pieds mais aussi la tête. Lors de la Passion, Jean reste au pied de la Croix pour contempler le corps de Jésus crucifié, tandis que Pierre a renié trois fois devant le corps de Jésus enchaîné avant de s’enfuir en pleurant. Lors de la Résurrection, Pierre et Jean ont tous les deux couru au tombeau, et cette fois-ci Jean n’a même pas besoin d’entrer pour voir et croire, tandis que Pierre doit se pencher pour constater que le corps de Jésus n’est plus là.
Prenons Jean pour guide
Bien sûr, Jean est un contemplatif, là Pierre est plutôt un actif. Au demeurant, ça n’empêche pas Jésus de choisir Pierre comme chef des Apôtres. Mais aujourd’hui, prenons Jean pour guide, car il s’agit de voir, de regarder, de contempler ce corps de Jésus transfiguré. Il n’y a rien à organiser, il n’y a pas à s’agiter, il faut se taire et contempler. L’activisme de Pierre en cet instant a quelque chose de déplacé. Avec tout le respect qui lui est dû, Pierre a un peu, en la circonstance, le comportement d’un adolescent d’aujourd’hui qui, lors d’une adoration eucharistique aux JMJ, chercherait à prendre un selfie de lui-même avec le pape François et le Saint-Sacrement en arrière-plan au lieu… d’adorer !
La pédagogie de l’adoration
Associer la Transfiguration à l’adoration eucharistique n’est pas arbitraire. Le mot "Thabor", qui désigne d’abord la montagne de la Transfiguration, désigne aussi le socle où l’on dépose l’ostensoir contenant le Saint-Sacrement. C’est peut-être ce qu’Élisabeth de la Trinité avait dans le cœur, lorsqu’elle écrivait :
Je veux Vous fixer toujours et demeurer sous votre grande lumière. Ô mon Astre aimé, fascinez-moi pour que je ne puisse plus sortir de votre rayonnement.
Dans la petite chapelle du Carmel de Dijon, où l’hostie illuminée par la flamme des bougies était exposée dans un ostensoir dont les rayons d’argent faisaient comme un soleil, Élisabeth était comme transportée au sommet du Thabor, pour contempler avec saint Jean le corps transfiguré de Jésus.
Et devant Jésus transfiguré comme devant Jésus au Saint-Sacrement, l’adoration devrait être l’élan spontané de notre cœur. Qu’est-ce que l’adoration ? Écoutons encore la petite carmélite de Dijon :
L’adoration, ah ! c’est un mot du ciel. Il me semble qu’on peut la définir : l’extase de l’amour. C’est l’amour écrasé par la beauté, la force, la grandeur immense de l’Objet aimé ; il tombe en une sorte de défaillance, dans un silence plein, profond.
Dans la joie de ces vacances comme dans les épreuves qui nous frappent, nous sommes invités à fixer Jésus des yeux, à L’adorer au Saint-Sacrement.
Fixer Jésus des yeux
Imitons la fermeté d’Élisabeth : "Je veux vous fixer toujours." Là encore, elle est du côté de saint Jean. Pierre, lui, a échoué à fixer Jésus des yeux. Lorsque Jésus l’a appelé à venir le rejoindre en marchant sur la mer, Pierre a fait quelques pas. Mais à l’instant même où Pierre a cessé de fixer Jésus des yeux, il a sombré, il a coulé. Cette année a été un temps d’épreuves : crise sanitaire, crise économique, scandales dans l’Église, sans compter les épreuves personnelles, les deuils. Si nous voulons marcher malgré tout, et ne pas couler, il nous faut fixer Jésus des yeux. Jésus est là, son corps transfiguré, qui s’offre à nos regards pour nous donner de rester debout et d’avancer.
Quelle grâce que de pouvoir regarder Dieu face-à-face ! Bien sûr, dans l’adoration eucharistique, nous ne voyons pas directement Jésus en sa divinité. Déjà pour les contemporains de Jésus, son humanité pouvait leur montrer sa divinité — c’est dans son corps, avec des gestes humains, qu’il accomplissait des miracles, jusqu’à ressusciter — mais aussi leur cacher cette divinité — comment Dieu pourrait-il revêtir une apparence aussi humble, aussi quelconque ?
Déjà du temps de l’Incarnation, il y avait un voile : il fallait un acte de foi et le don de la grâce pour que l’humanité de Jésus conduise les hommes à sa divinité, sans y faire écran. Dans le temps de l’Église où nous sommes, lorsque nous adorons Jésus au Saint-Sacrement, le voile subsiste, qui peut faire écran ou être traversé par la grâce. Il y a même deux voiles à traverser : il nous faut croire non seulement qu’en contemplant son humanité nous accédons à sa divinité, mais il nous faut croire déjà, en amont, que Jésus est réellement, substantiellement, charnellement présent sous les apparences du pain consacré.
Du visible à l’invisible
En adorant Jésus au Saint-Sacrement, puis en communiant à la messe, nous traversons deux voiles qui ne sont plus des obstacles mais le moyen même que Jésus a choisi pour nous permettre de nous unir à Lui. En adorant le Saint-Sacrement, nous passons du visible à l’invisible. Nous entrons, déjà, dans la gloire du Ciel. Nous voyons, déjà, ce que nous verrons au Ciel : Jésus-Christ en son humanité glorifiée par sa divinité. Ce que Pierre, Jacques et Jean ont seulement entrevu lors de la Transfiguration, nous le contemplons déjà. Ce que Pierre, Jacques et Jean contemplent aujourd’hui dans l’éternité nous est donné dans le temps.
La Transfiguration du Seigneur tombe au milieu des vacances. Et même ceux qui travaillent le font souvent sur un rythme moins effréné que pendant l’année. Profitons-en pour prendre le temps d’adorer le corps de Jésus au Saint-Sacrement. Déposons nos fardeaux, nos soucis, et fixons-le avec les yeux de Jean. Le Thabor n’est pas seulement en Palestine, il est partout où le corps eucharistique de Jésus est exposé à l’adoration des fidèles, il est partout où il y a des disciples pour se tenir dans le silence près du corps de Jésus. Pour nous unir à Pierre, Jacques et Jean lors de la Transfiguration, adorons Jésus au Saint-Sacrement avant de nous unir à lui dans la communion sacramentelle.