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Depuis la parution dans les années 1980 de son journal et de quelques lettres, Etty Hillesum n’a cessé de susciter l’intérêt et la curiosité, au point de devenir un exemple pour notre temps. Le dominicain Yves Bériault explique pourquoi et comment cette jeune juive hollandaise peut nous apprendre à prier.
Comment Etty Hillesum, jeune juive agnostique, découvre-t-elle Dieu, et cette communication-communion avec Dieu qu’est la prière ?
Père Yves Bériault : Etty est une jeune fille intelligente, cultivée, « moderne ». Elle ressent en elle un vide existentiel si profond qu’elle a la tentation d’en finir, de fuir cette réalité intérieure devenue insupportable, d’autant plus que les évènements extérieurs sont accablants. Elle est consciente de ne pas savoir aimer comme elle le voudrait, de vivre des conflits avec ses parents - surtout avec sa mère. Elle désire sortir de son égocentrisme et de ce manque de direction qui l’angoisse et la déprime, mais elle ne sait pas trop comment. Alors, elle décide de se faire aider. Et c’est à la demande de son thérapeute qu’elle commence à méditer une demi-heure par jour, tous les matins. Julius Spier l’invite à s’ouvrir à cette vie intérieure qui l’habite, même si, pour le moment, elle est le lieu de tensions et de peurs.
La méditation va-t-elle porter des fruits ?
Oui, la méditation l’amène à goûter les choses, à les éprouver, à accueillir la vie qui l’enveloppe plutôt que de chercher à tout analyser et tout juger. Ces temps de recueillement deviennent une gymnastique quotidienne, où elle se ressource, et qu’elle appelle son « heure de paix ».
Etty doutait de sa capacité à aimer, et voilà qu’elle goûte à un amour qui graduellement la sort d’elle-même.
Ce n’est pas encore de la prière ?
Pas encore, mais cet accueil de la vie va progressivement devenir accueil de Dieu qui est la Vie. Le but de l’exercice va être de « faire entrer un peu de Dieu en soi », selon ses mots. Etty doutait de sa capacité à aimer, et voilà qu’elle goûte à un amour qui graduellement la sort d’elle-même, l’amène à ouvrir les yeux sur la détresse du monde. Cette métamorphose est une vraie conversion : Etty s’abandonne peu à peu à l’action de Dieu en elle, à cette intimité nouvelle qui la sauve en quelque sorte d’elle-même et d’une spirale mortifère.
La prière lui devient-elle nécessaire ?
Indispensable. Ce ressourcement où elle refait ses forces ne connaît plus de répit en elle : « C’est comme si quelque chose en moi s’était concentré en une prière continuelle, cela ne cesse de prier en moi, même quand je ris ou fais des plaisanteries ». Une prière du cœur, intense, incessante, à l’affût de Dieu dans les moindres replis du drame qui se joue autour d’elle. Etty y trouve le courage et la paix profonde qui lui permettent d’affronter les turbulences d’une époque comme on n’en a jamais connu en Europe.
En quoi sa prière parle-t-elle aux chrétiens ?
Etty est juive, quoiqu’elle ne pratique pas. Elle ne citera jamais le nom du Christ même si l’on peut penser qu’elle est habitée par Lui. On retrouve néanmoins dans sa prière tous les accents et les différents « modes » de la prière chrétienne. Ce qui me touche, c’est de constater que la prière monte en elle car elle se reconnaît pauvre : elle est consciente de sa fragilité et de la faiblesse de ses moyens. C’est pourquoi elle se remet complètement entre les mains de Dieu.
Elle prie tout le temps et partout ?
En tout lieu. Elle en fait mention lorsqu’elle entend parler du groupe des carmes et des carmélites qui viennent d’arriver à Westerbork, dont Édith Stein, une juive allemande convertie au catholicisme. Apprenant que des religieux déambulaient entre les baraques tout en disant leur chapelet, elle écrit : « Et n’est-il pas vrai que l’on peut prier partout, dans une baraque en planches aussi bien que dans un monastère de pierre, et plus généralement en tout lieu de la Terre où il plaît à Dieu, en cette époque troublée, de jeter ses créatures ? »
Dans le fond, Etty ne dit pas des prières : elle est devenue prière…
Exactement. On peut dire qu’elle prie comme elle respire ! Et la joie devient une composante fondamentale de cette prière malgré les orages : « Je trouve la vie belle et je me sens libre. En moi des cieux se déploient, aussi vastes que le firmament au-dessus de moi ». Au moment où Etty quitte le camp de Westerbork en direction d’Auschwitz, elle est devenue une mystique, ivre de Dieu. Un « alléluia » monte continuellement à ses lèvres, comme un chant du cœur. Sa prière est maintenant incessante, avec cette conscience vive que Dieu est avec elle et qu’elle est avec Lui, quelle que soit l’épaisseur des ténèbres où elle s’enfonce, jusqu’à son offrande finale.
Propos recueillis par Luc Adrian