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Les maladies psychiques touchent de nombreuses personnes dans le monde. Les familles concernées s'isolent souvent, s'enfermant avec leur fardeau. Et le plus grand silence règne sur ces situations difficiles, sauf lors d'événements dramatiques. Jean Canneva, ancien président de l'Union nationale des amis et familles de malades mentaux (Unafam) donne des conseils aux familles qui ne savent pas comment vivre avec un proche atteint d’une maladie psychique.
Aleteia : Qu'est-ce qu'une maladie psychique ?
Jean Canneva : Ce terme désigne non des difficultés mineures ou momentanées, mais des maladies graves. Elles induisent un handicap psychique, à différencier du handicap mental, plus visible, mais stabilisé - la maladie psychique, elle, est évolutive, et n'est pas la conséquence de déficiences intellectuelles. Ces maladies lourdes et marginalisantes apparaissent souvent à l'adolescence. Leur symptôme majeur ? Un problème dans la relation avec soi-même comme avec autrui. Au début, les distinguer du trouble classique de l'adolescent est difficile. La pathologie se détecte par une persistance et une aggravation des signes. L'autonomie est amoindrie ; des idées, des comportements obsessionnels et incontrôlés surgissent, créant des dépendances qui peuvent être quasiment insurmontables. Elles empêchent la libre expression de la personne, par leur caractère excessif et interminable.
Quelles sont les différentes maladies psychiques ?
On distingue les névroses des psychoses. Pour les premières, les solutions sont plus faciles à trouver (déprime passagère...). En principe, plus la personne est jeune, plus on est dans la névrose. Un trouble psychique est infiniment moins grave chez un adolescent, il a plus de chances de récupérer qu'à l'âge adulte. Les psychoses englobent les schizophrénies et les troubles de la bipolarité, qui se manifestent à des degrés très variables : ce mot recouvre donc des réalités très différentes, mais la plupart du temps on retrouve une grande fragilité et un isolement dramatique.
Quels sont les signes qui peuvent alerter l'entourage ?
Il y a deux grands signes à décrypter : une sorte d'excitation, de délire même, avec des cycles répétitifs (plus visible), ou une anxiété (plus insidieuse : peur de la foule, du temps qui passe, de mourir...). Ce sont certes deux expressions « classiques » de la sensibilité, mais la maladie psychique les « radicalise », et empêche de passer de l'une à l'autre avec aisance. Cette raideur dans l'adaptation entraîne un déphasage avec l'environnement, donc une souffrance. Chacun d'entre nous peut éprouver une inquiétude existentielle, mais elle est normalement compensée par des activités créatrices qui aident à vivre. Pour les malades psychiques, cette faille reste béante. L'intelligence en elle-même n'est pas atteinte, mais la personne malade ne peut s'en servir de façon adaptée. Ces troubles ne sont pas dus à une faiblesse de caractère qui serait honteuse, mais à des facteurs biologiques, psychologiques et sociaux. Cette situation est difficile à expliquer. La maladie psychique ne ressemble à rien d'autre : le patient, sa famille et ceux qui l'accompagnent restent confrontés à une grande part d'inconnu.
Ces troubles ne sont pas dus à une faiblesse de caractère qui serait honteuse, mais à des facteurs biologiques, psychologiques et sociaux.
Il est difficile pour les parents de ne pas culpabiliser : « Qu'avons-nous raté dans notre éducation pour en arriver là ?» Que leur répondez-vous ?
Le risque est le même dans tous les pays, dans tous les milieux sociaux et professionnels. Ce n'est la faute de personne ! Entretenir ce sentiment stérile (naturel au début) mine, empêche d'avancer, complique et intoxique les relations. Les parents n'ont pas fabriqué cette maladie. Contrairement à un préjugé répandu, l'hérédité n'est pas une spécificité majeure des maladies psychiatriques. Un autre préjugé, enterré par les psychiatres mais qui a encore la vie dure, est celui des mères dites « abusives et fusionnelles » : on prend pour une cause ce qui peut être une réaction légitime devant son enfant qui souffre ! Ma deuxième réponse : informez-vous, pour éviter tous remords. Ces maladies sont méconnues. Ne restez surtout pas isolés, demandez conseil aux autres familles concernées. On est assez mauvais juge tout seul.
A partir de quand consulter, et comment convaincre le malade et sa famille ?
L'accompagnement doit impliquer un partenariat avec les soignants et les responsables sociaux : seuls, les individus et les familles, même expérimentés ou professionnels confirmés, sont déconcertés devant la complexité des problèmes rencontrés. Les séjours dans les établissements spécialisés étant désormais réservés aux périodes de crise, 80 % des malades vivent hors de l'hôpital. Les familles sont donc les premières concernées.
La réaction initiale (des malades comme des familles !) consistant à culpabiliser et à s'isoler, l'expression de la difficulté est la première étape à franchir. Il faut tendre la main aux familles, pour retrouver la relation. D'autant que dans 40 % des cas, la personne vit toujours chez ses parents ; et que dans plus de 70 % des cas, la famille est très impliquée. Les groupes de parole font aussi un bien fou aux familles. On ne peut pas se voiler la face longtemps (« Demain ça ira mieux... »), même si notre proche a fait Polytechnique, car sans aide et sans soin, les perturbations sont lourdes. Enfin, les périodes de rémission suscitant de nouveaux espoirs et alternant avec les rechutes sont usantes pour tous. L'intensité de la souffrance psychique est terrible, c'est l'argument essentiel pour convaincre une personne malade de consulter. La personne se dévalorise, se coupe de l'environnement. Elle ne trouve ni cause ni sens à sa maladie. A ce moment, l'aide de personnes qui ne jugent pas est nécessaire.
Est-il opportun de consulter plusieurs médecins ? L'aide d'un psychologue peut-elle suffire ?
Les maladies psychiques relèvent du médical. C'est bien d'accompagner avec du psychologique, mais c'est insuffisant. Médicaments et thérapie sont nécessaires. Cependant, la maladie psychiatrique touchant l'aspect relationnel, les accrochages fréquents avec le médecin font partie de la pathologie. Les malades ont du mal à admettre qu'ils puissent être déçus par le soignant, ils cherchent la perle rare qui les comprendra. Alors, s'ils ont des affinités avec un praticien, qu'ils essaient de cheminer avec lui. Pour assurer une continuité des soins, il faut éviter le « zapping » médical.
Les maladies psychiques relèvent du médical. C'est bien d'accompagner avec du psychologique, mais c'est insuffisant. Médicaments et thérapie sont nécessaires.
Le malade doit-il connaître le diagnostic ?
Quand la personne est jeune, le diagnostic est très difficile à poser. C'est pourquoi beaucoup de médecins refusent de nommer le trouble, qui ne devient pas forcément pathologique. Une deuxième raison qui impose la prudence est la multiplicité des formes que revêtent ces maladies. Enfin, leur image est très mauvaise : il suffit d'évoquer les « clichés » de l'hôpital psychiatrique d'autrefois... Certains patients pourront supporter d'entendre le diagnostic, d'autres non.
Que faire en cas de crise ? Comment éviter que le malade en veuille à ses proches en cas d'hospitalisation de force par exemple ?
En cas de crise, il faut faire appel aux services d'urgence, il est impossible de s'en sortir seul. Mais l'attitude face à une crise doit être organisée avant, dans la mesure du possible. Il faudrait un numéro spécial pour les urgences psychiques. Chez une personne qui souffre beaucoup il y a un appel à l'aide implicite, un besoin de réponse extérieure. Si celle-ci est donnée avec doigté et en partenariat, la tension peut retomber. J'ai vu des hospitalisations où le patient était heureux qu'on s'occupe de lui, finalement, et même des personnes demander l'hospitalisation : après s'y être éventuellement opposé, elles sont soulagées de voir qu'on veut les aider à s'en tirer.
Comment améliorer la communication avec ce proche qui souffre et s'isole ?
Une écoute active est bénéfique. Dans la mesure du possible, les échanges doivent être clairs, précis, ancrés dans la réalité et la confiance. Que toute relation soit vraie. La personne qui souffre perçoit la sincérité ou la simulation, d'autant plus avec sa sensibilité à fleur de peau. L'expression du visage par exemple ne doit pas démentir des propos positifs. Evitez critiques, interprétations, sarcasmes, menaces... Cependant, les insatisfactions doivent être exprimées, mais sans accuser, et en évitant d'y mêler de trop fortes dimensions affectives. Il faut apprendre également à gérer le caractère imprévisible, chronique, de la maladie. Et aider d'autres familles permet de s'apporter mutuellement un secours véritablement positif.
Isabelle Larroque