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Comment limiter le temps d’écran d’un adolescent sans cris ni énervements ?

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Edifa - publié le 18/12/20
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La question numérique est devenue source de conflits dans votre famille ? Ne vous découragez pas ! Voici quelques stratégies à mettre en place pour limiter le temps d’écran de votre adolescent. La régulation des heures de portable peut apprendre au jeune adolescent à maîtriser sa frustration, d’après le psychothérapeute Didier Pleux, auteur de Développer le self-control de ses enfants (ed. Odile Jacob).

Pourquoi les parents ont-ils tant de mal à réguler la gestion des écrans ?
Didier Pleux : La génération des parents a subi une éducation imprégnée de Françoise Dolto, et eux-mêmes considèrent la frustration comme une castration. Or la frustration, c’est simplement dire : « Je ne peux pas faire tout ce que je veux tout le temps » et « Je ne suis pas tout seul ». Contrairement à la télévision et à l’ordinateur, l’adolescent porte son portable sur lui, comme un vêtement. Il lui permet de vivre sa propre vie, notamment d’échapper à la famille et aux échanges relationnels. C’est un cas extrême, mais je viens de recevoir une maman qui avait régulé le temps passé de son jeune adolescent sur le portable, car ses notes diminuaient, et il s’est plaint au commissariat pour maltraitance… Il faut expliquer aux enfants que le portable est un outil de communication, pas un droit inaliénable.

Les parents peuvent-ils aller jusqu’à supprimer les écrans dans certains cas ?
Oui, quand un adolescent n’est pas capable de piloter son écran tout seul, par exemple quand il surfe sur un film pornographique. L’ambiance générale est à l’empathie envers son enfant, mais les parents ont aussi le droit de lui déplaire et de le contraindre. Avec un enfant autonome, qui utilise son téléphone pour envoyer des messages à des amis, l’organisation du temps d’utilisation des écrans ne pose pas de problème. Le problème concerne les enfants fragiles, peu tolérants aux frustrations ou influençables. Sans médiation adulte, ils vont sur des sites d’immédiateté ou jouent des heures à des jeux vidéo, dans l’assouvissement d’un principe de plaisir immédiat. Si le jeune abuse ou s’il navigue sur des sites interdits aux mineurs, pourquoi lui laisser le portable ?

Si on lui supprime son smartphone, il pourra consulter Internet chez un ami, ce qui revient au même.
Il le fera, mais ailleurs, et sans l’aval des parents, ce qui fait toute la différence, car il sait alors qu’il passe outre une interdiction.



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En quoi consisterait un « code familial de bonne conduite » concernant le smartphone ?
Ce serait un contrat décidé par les parents, qui préciserait le temps octroyé au portable, à l’image des heures de sorties. Donner un portable à volonté implique une autorégulation, mais un enfant de 11-12 ans laissé à lui-même va-t-il se diriger naturellement vers un site intelligent ? Les sollicitations sexuelles, par exemple, sont nombreuses sur Internet, et des camarades mal intentionnés sont ravis d’expliquer aux novices comment se connecter sur ces sites.

Une fois régulées les plages horaires d’accès à Internet, comment les aider à gérer la frustration ?
Il faut s’y prendre tôt, sinon c’est la guerre incessante. Frustrer n’est pas sanctionner, priver de liberté ou piquer des colères ; c’est, en amont, augmenter le seuil de tolérance de son enfant, en lui apprenant à donner de sa personne. Aide-t-il à la maison, participe-t-il aux repas, s’occupe-t-il de son linge ? S’il n’a pas d’horaires réguliers, pas de devoirs à faire et est nourri quand il le souhaite, comment pourrait-il soudainement accepter une privation totale de portable ? Les parents doivent apprendre à leur enfant le principe de réalité et le sens de l’effort, à ajuster en fonction de l’âge. On peut lui autoriser l’accès d’Internet après en avoir parlé avec lui et lui avoir demandé dans quel objectif il entend le faire. En aval, la répression et l’artillerie lourde ne règlent pas, hélas, le problème de fond.

Vous voulez dire qu’à un moment, il est trop tard de frustrer son enfant en lui retirant le portable ?
Si le parent est lui-même branché toute la journée sur son écran, ce sera plus difficile. Il est moins cohérent aussi de retirer un écran si les enfants n’ont aucune limite, si leur ego a été trop développé, s’il est incapable d’apprendre une déclinaison d’allemand ou d’être attentif en cours de physique. Tout est lié, et si un enfant vit toujours dans le plaisir, la moindre frustration devient inacceptable. S’il est bien autonome dans le plaisir, alors pourquoi ne pas promener le chien, mettre le couvert, être responsable d’une tâche familiale, gagner de l’argent de poche ?


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Ces petites actions permettent d’éviter de développer une intolérance à la frustration. Le scoutisme est également une excellente école de vie. Faire un feu, monter un camp, préparer la nourriture : les scouts retirent un plaisir plus grand après s’être contraints à faire quelque chose que des adolescents désœuvrés à qui tout est servi sans effort à consentir. De même, une éducation religieuse permet en principe de transcender la loi de l’ego, de ne pas se sentir au-dessus de tout.

Comment fonctionne la frustration au niveau de la psyché et du cerveau ?
Le cerveau primaire émotionnel est programmé pour le plaisir et pour manger, survivre, dormir. Si un enfant n’est pas habitué à différer le plaisir, son cortex, c’est-à-dire son intelligence rationnelle, s’affaiblit. Submergé par un plaisir immédiat, incapable d’y résister, il devient alors plus enclin à développer une addiction. L’enfant immature a besoin d’une instance morale qui refrène sa pulsion (le « ça » en psychanalyse). Au début les parents s’en chargent, puis la morale intérieure prend normalement le relais. L’équilibre entre plaisir et déplaisir s’apprend, il n’est pas inné, contrairement à ce que l’on entend, car l’enfant penche naturellement vers le plaisir. Il est un être d’émotions qu’on peut élever et d’ailleurs les enfants manquant d’adultes significatifs ont un fort mépris pour leurs parents absents.

L’écran suscite beaucoup plus de frustrations que les autres sujets. Pourquoi la frustration est-elle plus violente sur les écrans ?
Désormais, l’addiction aux écrans est traitée dans des centres. Selon le juriste Joël Bakan, auteur de Nos enfants ne sont pas à vendre (ed. Les Arènes), l’écran aurait un pouvoir addictif aussi fort qu’une drogue dure. Quand on l’arrache à son jeu vidéo préféré, l’enfant peut être submergé par l’angoisse, la colère et dépression. Ce sont les mêmes symptômes qu’un héroïnomane à qui l’on retire sa drogue, car l’utilisation d’un écran provoque des stimuli sur le cerveau émotionnel qui lui font perdre la notion de temps et l’empêchent de décrocher. C’est pourquoi il ne faut pas supprimer tous les écrans d’un coup. Réguler le portable, c’est armer son enfant, lui permettre de découvrir des bonheurs différés plus grands.

Quelle utilisation concrète du portable et des écrans recommanderiez-vous ?
Ne pas répondre immédiatement aux SMS permet de prendre plus de temps pour se parler, se concentrer sur ses devoirs ou sur le moment présent. Ne pas répondre à cette sollicitation permet de différer et d’humaniser son désir, comme de la joie de récupérer le portable le week-end. Il faut également expliquer à l’enfant que le portable n’est pas un outil anodin et ne pas lui autoriser l’accès à Internet quand aucun adulte n’est présent à la maison. Le lui donner tous les jours, c’est créer une habitude de vie dont il lui sera difficile de se départir. Tant qu’un enfant est scolarisé, il doit se consacrer à son travail la semaine. En revanche, il peut l’utiliser une heure le samedi et une heure le dimanche, et peut-être le mercredi, pas nécessairement de manière systématique, s’il a terminé ses devoirs. Le psychiatre Serge Tisseron recommande d’ailleurs d’interdire Internet avant 9 ans et les réseaux sociaux avant 12 ans. Et après, de les consommer à petites doses.

Propos recueillis par Olivia de Fournas



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