Si tous les amoureux désirent se parler en profondeur, beaucoup regrettent de ne pas y arriver car le dialogue est un vrai défi pour le couple. Pourquoi ces difficultés persistent et surtout comment les surmonter ?
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Pas toujours facile de se révéler, même à son conjoint. C’est pourtant la clé d’une relation conjugale heureuse. D’après la conseillère conjugale Marie-Madeleine Devillers, il nous manque parfois un outil pour cela : reconnaître nos propres besoins.
Quel est le poison de la vie de couple ?
Marie-Madeleine Devillers : L’indifférence. Elle s’installe avec le temps et conduit à une coupure de la communication. Lorsqu’on est blessé, il existe trois façons de réagir : le silence afin d’avoir la paix, l’agressivité, ou encore la manipulation, dans le but d’amener l’autre à penser comme soi. Les femmes se montrent souvent plus agressives, car mieux armées que l’homme pour trouver les mots, ceux qui calment comme ceux qui critiquent. Quelle que soit la réaction, chacun se crée une carapace afin de n’être pas atteint. Au fil du temps, on vit en parallèle, sans plus prêter attention à l’autre.
Une carapace qui empêche le dialogue ?
Oui. Il est facile de communiquer sur les faits : son travail, les personnes rencontrées, les actions réalisées. Il est aussi courant de partager ce que l’on pense de la politique, de tel ou tel événement, etc. Ces deux niveaux importent, car ils permettent de mieux se connaître, mais ils ne suffisent pas. L’intimité du couple se construit par un échange au troisième niveau, celui du ressenti. Il laisse voir à l’autre le plus profond de son être : pensée, corps, cœur.
Qu’est-ce qui rend ce partage des émotions si difficile ?
La communication, comme la vie de couple, révèle parfois des blessures du passé qui ne sont pas guéries. Je me souviens d’un ingénieur qui devenait violent lorsque sa femme boudait. Une telle réaction, démesurée, agit comme un clignotant : elle renvoie à une souffrance qui vient de plus loin. Cet homme avait reçu une éducation très sévère. En cas de désaccord, ses parents lui opposaient un « C’est comme ça et pas autrement » qui empêchait toute discussion. Il ne pouvait pas exprimer sa colère. Le silence de son épouse le renvoyait à cette fermeture sans appel. Aussi importe-t-il de partager sur son éducation, sa vie de famille, sa gestion de l’argent, ce qui semble à chacun acceptable et insupportable, etc.
Souvent nous n’osons pas dire non, de crainte de ne plus être aimé. Alors que c’est l’inverse ! Nous serons mieux respectés dans nos limites.
Comment communiquer en profondeur ?
Une femme souhaitait intégrer le club de bridge de son mari, un très bon joueur. Il lui a répondu : « Tu dois prendre des cours, sinon tu ne pourras pas venir, tu joues si mal ! Ce serait un fiasco par ta faute ». Cette repartie résume les quatre mauvaises manières de communiquer : l’ordre, la menace, la dévalorisation et la culpabilisation. Or, bien communiquer revient à pratiquer quatre verbes : demander, refuser, donner et recevoir. La clé est d’oser : oser demander, oser exprimer son désaccord, son ressenti face aux comportements de l’autre. Souvent nous n’osons pas dire non, de crainte de ne plus être aimé. Alors que c’est l’inverse ! Nous serons mieux respectés dans nos limites.
Ce n’est pas toujours évident devant les enfants ou les amis…
Mieux vaut ne pas entamer une discussion sous le coup de la colère. Cela risque d’être destructeur. Il est toutefois possible d’exprimer son besoin d’en parler plus tard. Puis d’y revenir, même si c’est en décalage par rapport à l’événement. Au conjoint aussi de se montrer vigilant au temps de l’autre. Un soir, un homme fou de joie rentre plus tôt afin d’annoncer à son épouse son changement de poste et son augmentation de salaire. Elle répond laconiquement : « Ah bon, c’est bien ». Vous imaginez la douche froide ! S’il avait pris le temps de l’interroger, il aurait appris qu’elle avait eu une journée épouvantable au bureau, que les enfants avaient été odieux et que la machine à laver venait de tomber en panne. Se sentant écoutée, elle se serait ensuite montrée réceptive.
Critiques ou reproches, compliments et bienveillance nous sont retournés, c’est une règle d’or. Le conflit conjugal est une responsabilité partagée.
Que conseillez-vous en cas de conflit, lorsque le dialogue ne semble plus possible ?
Au début, on communique sur tout ce qui nous rassemble. Avec les années, on tend à communiquer sur tout ce qui diffère ! À un stade ultime, la communication qui subsiste est agressive, façon ping-pong. Or, une balle lancée contre un mur revient avec la même force. Critiques ou reproches, compliments et bienveillance nous sont retournés, c’est une règle d’or. Le conflit conjugal est une responsabilité partagée. Tant que se joue le schéma victime/bourreau, le problème ne peut se résoudre. Souvent, nous restons campés sur nos arguments, réfléchissant à notre réponse lorsque l’autre parle ! Pourtant, l’essentiel n’est pas de savoir lequel des deux a raison. Ce qui compte, c’est d’accueillir le fait que l’autre soit blessé. La seule issue revient à recevoir le point de vue du conjoint.
Dans ces conditions, imposer un dialogue à tout prix n’est-il pas voué à l’échec ?
Absolument ! Ces couples en difficulté ont des bleus partout. Ils réclament une période de convalescence. Ils ont d’abord besoin de prendre soin d’eux, de se retrouver pour se détendre et se faire du bien ensemble. Une activité commune, artistique ou sportive, s’avère un bon moyen de renouer en douceur.
Comment aller plus loin, ensuite ?
Un outil consiste à partir des besoins de chacun. Chacun dresse une liste de ses besoins d’homme ou de femme, d’époux ou d’épouse, de père ou de mère. L’autre ne peut pas tout combler, en particulier les besoins personnels. Ainsi, une femme s’est souvenue qu’elle raffolait de sculpture. Lui souhaitait se remettre au sport. À eux de s’en donner les moyens : l’un peut garder les enfants pendant que l’autre sort. Ces temps de solitude, d’intériorité, permettent de se ressourcer.
Certaines générations ont reçu une éducation faussement chrétienne qui imposait de s’oublier. S’occuper de soi engendrait de la culpabilité. Un psychiatre athée s’étonnait : « J’ai beaucoup d’admiration pour vous les chrétiens qui êtes toujours au service des autres. Mais vous ne prenez jamais le temps d’être au service du pauvre qui est en vous… »
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Le don aux autres ne suffit-il pas à trouver son équilibre ?
Nous avons tous besoin de reconnaissance. Si nous ne la trouvons pas au sein de notre ménage ou de notre famille, nous la cherchons ailleurs : travail, loisirs, engagements paroissiaux ou associatifs parfois. Autant de possibilités de fuites dans l’activisme et d’éventuelles infidélités déguisées. Tout est une question de mesure, bien sûr. Quand je demande à ces personnes trop versées vers l’extérieur si elles s’investissent aussi dans leur relation de couple, la réponse est très pauvre. Souvent, l’un et l’autre ne sont pas partis ensemble depuis plusieurs années.
En effet, il est difficile d’ajouter aux temps personnels, en famille et entre amis, un moment d’échange pour le couple seul…
Tout est une question de priorité. Où est ma préférence ? Un week-end chez la belle-famille, ou à deux ? Mon conjoint est mon plus proche prochain, ma priorité. Avant d’aller dire bonjour aux enfants, c’est à lui que je m’adresse ; nous sommes « couple » avant d’être parents. Et cet amour conjugal complice rejaillit sur les enfants.
Je recommande aux couples de se réserver au moins deux soirées par mois, un week-end par trimestre, et une semaine par an. Coûte que coûte ! Même quand l’envie manque : fatigue, énervement, enfants à placer. Il y a toujours une bonne raison de fuir ces rendez-vous. Au début, on croit pouvoir s’en passer. Mais si on ne l’entretient pas régulièrement, l’amour s’effiloche. Le couple se nourrit par ces temps de retrouvailles. Et ils coûtent moins chers qu’un avocat ou un thérapeute… (sourire).
Comment exprimer ces besoins identifiés ?
Cela s’apprend. Souvent, nos demandes sont des exigences masquées. Au début, on y obéit par amour, mais à la longue, elles nourrissent du ressentiment. Et c’est terrible. Surtout pour la femme, dont la mémoire est grande. Une demande vraie laisse à l’autre la liberté de répondre oui ou non. Plutôt que de formuler une demande, il arrive aussi d’utiliser le reproche. « Mon mari rentre tard… », accusait une épouse. Elle n’avait jamais pensé à lui dire tout simplement qu’elle avait besoin de lui.
“Un vrai pardon implique une remise en cause de soi, du regret, et un réel désir de changement. Il rétablit la relation et réactualise le sacrement du mariage.”
Même au sein du couple, échanger un pardon n’est pas toujours évident. Y a-t-il des étapes ?
Le pardon n’est pas naturel et il n’a rien de magique. C’est un chemin. Il traduit la bonne santé du couple et permet d’évacuer les tensions, les échanges agressifs, humiliants, violents. Il aide à guérir les blessures. Il faut d’abord en avoir le désir. Trop de faux pardons s’échangent pour obtenir la paix ou parce que son éducation le réclame. Aux couples chrétiens en difficulté, je propose de commencer par demander chaque matin une grâce pour la journée : grâce d’accueillir l’autre tel qu’il est, grâce de l’aimer – certains n’en ont même plus l’envie -, grâce de reconnaître ce qui est bon chez l’autre, grâce de lâcher prise. Les femmes sont souvent dans un tel contrôle du mari ! Qu’il puisse faire à sa façon… Un vrai pardon implique une remise en cause de soi, du regret, et un réel désir de changement. Il rétablit la relation et réactualise le sacrement du mariage.
Comment vivre pleinement ce sacrement ?
Le plan de Dieu pour le couple est vertigineux. Dire oui pour la vie représente un sacré défi ! D’autant que la volonté seule ne suffit pas, car elle peut s’épuiser. Pour l’alimenter au quotidien, il faut puiser à une source plus profonde : la foi et la grâce. Il y a tout dans le sacrement du mariage : confiance, fidélité, force, courage, pardon, espérance. Demander ses grâces le vivifie. « Seigneur, viens habiter ce qui est obscur, insupportable dans ma relation ».
Quelles résolutions peut adopter un couple qui sort d’une crise ?
Un couple qui n’a pas de projet est un couple qui meurt. Déterminer un projet commun conduit à s’imaginer dans le temps, dans la durée, avec l’autre. Quand les conjoints s’ennuient, qu’ils n’ont plus rien à se dire, je les prie de trouver cinq propositions à vivre ensemble, dont deux qui seraient une folie. À eux de faire preuve d’inventivité et de fantaisie. Il arrive que ce soit plus difficile pour l’homme, qui se satisfait d’être avec sa femme et ne comprend pas sa lassitude. Puis, chacun choisit de vivre l’une des suggestions de son conjoint. Osons des coups de folie ! Même s’ils sont déraisonnables ou semblent inefficaces en terme de rendement. Ils permettent de garder vivante sa relation.
Propos recueillis par Stéphanie Combe.
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