En plein confinement, de nombreux parents redoutent que leurs enfants ne sachent pas s’occuper durant plusieurs jours d’affilés et tournent en rond. Et si le confinement était l’occasion de les laisser ne rien faire de temps en temps ?
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Tandis que les parents, en cette période de confinement, cherchent des activités à faire tous les jours avec leurs enfants, Etty Buzyn, psychothérapeute et psychanalyste, plaide pour l’ennui.
Vous plaidez pour « le droit de ne rien faire ». Les parents, pourtant, redoutent justement que leurs enfants n’aient rien à faire durant le confinement.
Etty Buzyn : S’ennuyer est en effet une expérience formatrice nécessaire dans la vie d’un enfant. La capacité à supporter l’ennui reste un signe incontestable de bonne santé mentale. Ce temps où il cesse d’agir pour se confronter à la solitude lui permet de ne plus esquiver ses émotions mais de pouvoir, au contraire, les laisser se déployer dans son espace intérieur. Il peut aussi progressivement faire des découvertes sur sa capacité à puiser en lui les ressources nécessaires pour s’inventer des histoires qu’il mettra en scène plus tard dans ses jeux.
Au moins pendant le temps du confinement, offrons-leur le temps de rêver, de se sentir à l’abri de l’agitation, en dehors de l’urgence.
L’inactivité peut donc être constructive ?
C’est une façon pour un enfant, tout comme pour un adulte, de s’adonner à la « contemplation » et à une forme d’apaisement difficile à trouver dans l’activité constante. C’est aussi dans l’inactivité que les choses se décantent, que l’enfant trouve l’inventivité nécessaire pour s’occuper par la suite et se diriger vers ce qui l’inspire. Regardez les scientifiques, c’est souvent dans leurs temps d’inactivité qu’ils font leurs découvertes !
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Il faut donc profiter du confinement pour ne rien faire ?
On propose toute l’année aux enfants des activités de plus en plus sophistiquées, mais ils ne savent plus observer le monde. Ils n’ont plus le temps d’éprouver des sensations sans la médiation d’un écran. Au moins pendant le temps du confinement, offrons-leur parfois ce temps-là, le temps de rêver, de se sentir à l’abri de l’agitation, en dehors de l’urgence.
Certains pensent qu’un enfant qui s’ennuie est un enfant dont les parents s’occupent mal.
Parce que nous sommes dans une société de la tyrannie du « faire » et de l’hyperactivité, qui prône l’efficacité et la performance y compris dans les moments de loisir. Et les parents se sentent effectivement coupables quand ils ne proposent pas des loisirs programmés, des activités attrayantes, sophistiquées ou rentables. Il ne faut pas craindre de vivre à contre-courant ! Il n’est pas très compliqué de partager quelque chose avec ses enfants, ne serait-ce qu’une conversation…
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Il ne s’agit pas non plus de les faire tourner en rond durant toute la durée du confinement. Il faut leur proposer des activités choisies est profitable. Mais ne négligeons pas ces temps indispensables pour leur construction intérieure où nous faisons des choses avec eux. Donner son temps, c’est donner de l’amour, de l’attention, c’est savoir reconnaître le ressenti de l’enfant et lui accorder la place qui lui revient. Quand un enfant dit : « Je m’ennuie », moi j’entends parfois : « Je m’ennuie de toi », « J’ai besoin de parler », « J’ai envie d’être avec toi. Peux-tu mettre de côté ton ordinateur ?». Faire des pâtisseries, coudre des vêtements, fabriquer des petits objets avec eux, sont des occasions de précieuses retrouvailles dans une proximité chaleureuse où s’enracinent des souvenirs de moments fugitifs, mais privilégiés.
Il ne faut pas se culpabiliser de ne pas répondre tout de suite à la plainte « Maman, je m’ennuie » ?
Non. N’ayons pas peur d’introduire une part de délai, d’attente et de frustration face à cette demande. Satisfaire trop rapidement un enfant l’empêche d’exploiter et de développer ses facultés. Le manque est essentiel pour se construire. D’abord parce que le fait d’être comblé n’existe pas, c’est impossible – il faut pouvoir supporter le manque et parfois même le créer. N’ayons pas peur de la frustration ! Il est dans l’ordre des choses que les parents frustrent –dans des proportions raisonnables –, et que les enfants contestent, c’est-à-dire réagissent !
Ne pas répondre tout de suite, trop vite, à cette plainte « Je m’ennuie » laisse le temps à l’enfant de trouver lui-même une occupation et favorise son initiative et son indépendance de pensée.
En tout cas, il ne faut pas avoir peur d’y confronter l’enfant. Ne pas répondre tout de suite, trop vite, à cette plainte « Je m’ennuie » laisse le temps à l’enfant de trouver lui-même une occupation et favorise son initiative et son indépendance de pensée. Ces instants où l’on ne fait rien, ces moments de vacuité, sont nécessaires pour s’aventurer dans l’imaginaire, pour trouver des idées personnelles, originales, qui ne seront peut-être pas réalisables tout de suite mais qui permettent à l’enfant, ou à l’adolescent, de se projeter dans l’avenir. Sinon, il n’est que dans l’automatisme de la répétition tous les jours. Dans l’ennui, on peut imaginer d’autres choses, d’autres solutions, d’autres projets, d’autres réalisations de soi-même.
Propos recueillis par Agnès Flepp