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Sans sucre, sans gluten, sans lactose, sans calories, sans nicotine, sans adjuvant… "Comment a-t-on réussi, en un tour de passe-passe absolument génial et admirable, à nous vendre de l’absence ?" se demande Mazarine Pingeot dans son livre Vivre sans : une philosophie du manque (Climats). Même si la mention "sans" apporte "la garantie d’un produit qui est meilleur pour la santé […] ce qui me dérange, c’est qu’on a l’impression aujourd’hui que la question éthique est soluble dans le capitalisme", poursuit-elle, avec — cerise sur le gâteau — l’assurance que ces produits "sans" vont se vendre plus cher que les autres. S’ensuit une critique de la marchandisation omniprésente de tous les produits, y compris les biens culturels et humains, ainsi qu’une critique du "capitalisme", peut-être la moins mauvaise solution économique, mais qui absorbe tous les actes humains dans son système.
Manque ou absence ?
Sans entrer dans la critique du capitalisme faite ici, concentrons-nous sur la question du "sans". Même si elle évoque le côté positif du mot (sans sucre, cela veut dire bon pour la santé), Mazarine Pingeot bascule rapidement sur le sens de "manque" à l’origine de la déconstruction philosophique qu’elle entend opérer dans le marketing et dans notre société de consommation : nous achèterions du manque sans même nous en rendre compte. Qu’en penser ?
Je remarque que plusieurs dictionnaires définissent d’abord "sans" par absence, alors que manque vient en deuxième. Ce n’est pas innocent. Le mot absence possède une signification plus ample que celui de manque. Le manque est une absence dommageable par rapport à un besoin, une nécessité naturelle : je manque de sommeil, il me manque de l’argent pour vivre. Le mot absence peut être utilisé pour signifier — non un manque — mais quelque chose de positif : l’absence de soucis, l’absence de défauts… et le marketing me semble-t-il, le comprend ainsi : on ne vend pas du manque, les gens ne sont pas fous, on vend de la qualité, qui est précisément l’absence de toxicité pour notre santé ou pour la planète.
Les référentiels du marketing « sans »
Derrière l’attrait du mot "sans" comme absence positive se profilent plusieurs valeurs : la santé, l’écologie et l’éthique. Il ne faut pas y voir forcément un phagocytage du système capitaliste qui récupérerait habilement à son compte des valeurs qui lui sont étrangères. On peut y déceler une invitation à mieux acheter : non plus seulement par intérêt ou pour le plaisir, mais en intégrant des valeurs que l’on estime plus justes, humaines, universelles. L’acte d’achat ou de vente est abordé du point de vue de notre liberté, de notre responsabilité à chacun. Si j’achète un dessert "sans sucres ajoutés", c’est parce que j’estime que c’est meilleur pour ma santé. Ce dernier critère vient s’ajouter à celui du prix ou encore du plaisir. En étant convaincu que l’huile de palme est cultivée d’une façon excessive et anti-écologique, on peut considérer que ce critère mérite à son tour d’être intégré dans l’acte d’achat. Chacun est libre en fonction de ses critères et de ses possibilités financières.
Et l’éthique là-dedans ?
On peut aller plus loin dans l’approche "sans". On trouve aujourd’hui des plaques de chocolat "équitables et éthiques", "éthiquables", "sans pesticides ni engrais chimiques, pour préserver la planète autant que la santé des travailleurs". La transparence concernant le contenu des produits, l’absence de toxicité sont aussi des arguments éthiques de vente, qui peuvent révéler l’intérêt commun du vendeur et de l’acheteur. Ils préservent la santé des "travailleurs", et entendent présenter sans mauvaise foi ni fourberie un produit sain. L’éthique est bien ici un critère supplémentaire pour le consommateur, qu’il peut intégrer à son acte d’achat. À lui d’en décider. Bien entendu, on peut utiliser l’argument éthique ou écologique pour vendre plus, une telle démarche peut se révéler non seulement éthique, mais aussi efficace, et même plus efficace qu’une démarche purement intéressée !
La morale du « sans »
Ce qui est en jeu est qu’en définitive, l’économie n’est jamais un système qui fonctionne tout seul : elle intègre une multitude d’actes humains, subis ou responsables. La prise de conscience des valeurs sous-jacentes à un acte d’achat quasi mécanique pourrait bien le faire basculer vers un acte responsable.