Campagne de dons de Noël
Pour qu'Aleteia poursuive sa mission, faites un don déductible à 66% de votre impôt sur le revenu.
Et ainsi l’avenir d’Aleteia deviendra aussi la vôtre.
Mars 1944 : deux petits garçons de 8 et 6 ans en culotte courte et bottines lacées quittent leur vie parisienne pour la côte normande. Paul et Louise Ostier, leurs parents, sont tous deux d'origine juive, convertis au catholicisme en 1940. Devant le risque de déportation, les Ostier prennent la décision de cacher leur progéniture en l'éloignant de Paris. Jacques, Bernard et Etienne, les trois aînés, ont déjà été envoyés en Bretagne dès 1941. Les deux plus jeunes, Arthur et Adrien, sont quant à eux expédiés, sur les conseils de Dom Aubourg, moine bénédictin de l'abbaye Solesmes et grand ami de la famille, à Douvres. "C'est une amie de maman, Marie-Louise, qui nous a convoyés depuis la gare de Saint-Lazare jusqu'à Caen", détaille à Aleteia Adrien, le plus jeune des frères. "Nous l'avons faite passer pour notre tante pendant le voyage. Arrivés à Caen, ce sont les sœurs qui sont venues nous chercher et elles nous ont emmenés à Douvres."
C'est ici, face à la Manche et à quelques mètres des plages, que se trouve le couvent de la Vierge fidèle, où les religieuses semi-cloîtrées tiennent un pensionnat de jeunes filles et un orphelinat. La congrégation ouvre ses portes aux deux garçonnets, surnommés "grand A" et "petit A". "J'ai le souvenir, à notre arrivée, de la mère supérieure. C'était une femme très imposante, elle ressemblait à ces abbesses peintes par Philippe de Champaigne." Hormis cette dernière, aucune religieuse ne connaît l'origine des enfants ni la raison de leur arrivée impromptue. Aucune ne posera de questions. "Les colis sont bien arrivés", écrit alors Dom Aubourg à la mère des enfants pour la rassurer. "Il fallait rester le plus discret possible, car tout était sujet à surveillance, on ne nous nommait pas par précaution", confie Adrien à Aleteia. C'est une sœur novice qui prend tout particulièrement en charge les deux nouveaux arrivants, sœur sainte Blandine. "Elle a été comme une seconde mère. Je dis souvent que c'est sur nous qu'elle a pu assouvir son instinct maternel", dit avec une tendresse non dissimulée Adrien Ostier. "Nous sommes restés dans ses jupes jusqu'à notre départ."
Nous étions montés au grenier dans un premier temps, pour voir du côté de la mer. Mon frère s'en rappelle encore : elle était recouverte de bateaux. Et puis d'un coup, les vitres ont été soufflées par les éclats d'obus.
En accueillant leurs petits protégés, les religieuses prennent des risques. La Normandie est sous occupation depuis quatre ans. Elle vit avec une rare intensité les épreuves de la guerre : bombardements, rationnements... Arthur et Adrien parviennent toutefois à demeurer en sécurité au milieu de leurs mères d'adoption, qui les préservent avec tendresse de la dure réalité de la guerre. Alors que les bombardements s'intensifient en mai 1944, les écoles ferment et les enfants sont renvoyés chez eux. Les petites pensionnaires des religieuses n'échappent pas à la règle. Seuls les frères Ostier restent à Douvres, où ils suivent leurs classes au rythme de la vie monacale. "Nous ne ressentions aucunement la peur et n'avions absolument pas conscience d'un quelconque danger. Nos parents ont toujours cherché à nous préserver de l'angoisse, et les sœurs ont fait de même."
"Jour J"
Jusqu'à la nuit du 5 au 6 juin 1944. Les sirènes déchirent la nuit de leur plainte stridente, et les bourdonnements des bombardiers réveillent la communauté en sursaut. "Et puis la canonnade navale a commencé", se souvient Adrien Ostier. Nuit blanche. Fruit d'une longue préparation, l'opération "Overlord" est lancée par les troupes alliées et signe le début de la bataille de Normandie à laquelle participeront trois millions de soldats. Trompés par l'opération "Fortitude", par laquelle les Alliés ont réussi à faire croire à un débarquement dans le Pas-de-Calais, les Allemands sont surpris par l'arrivée sur les côtes normandes d'un contingent britannique, américain et canadien. Juste avant l'assaut sanglant sur les plages, les Allemands voient émerger sur les eaux de la Manche l'armada alliée : cuirassés, destroyers, contre-torpilleurs apparaissent comme des fantômes à l'horizon.
Plus de 11.000 avions prennent d'assaut le ciel normand. Les divisions aéroportées sont larguées sous les tirs, et au sol, 50.000 hommes débarquent depuis les péniches sur cinq plages situées d’ouest en est de la côte : Utah, Omaha, Gold, Juno, Sword. C'est en face de cette dernière que les enfants Ostier vivent de très près "le jour le plus long". "Nous étions montés au grenier dans un premier temps, pour voir du côté de la mer. Mon frère s'en rappelle encore : elle était recouverte de bateaux. Et puis d'un coup, les vitres ont été soufflées par les éclats d'obus." Les bombardements alliés emportent tout sur leur passage : Caen, ville martyre, s'écroule sous un déluge d'artillerie pendant plus de 30 jours. Douvres n'est pas épargnée. Seule Bayeux échappera miraculeusement à l'apocalypse, grâce Dom Aubourg qui parvient à prévenir les alliés à temps de l'évacuation de la ville par les Allemands. Au couvent de la Délivrande, une religieuse arpente les couloirs, cloche à la main : il faut descendre à la cave. Les enfants et la congrégation y resteront cachés jusqu'à la fin du mois de juillet, après la bataille de Caen. "Le couvent a été très peu touché. Pourtant, j'ai appris qu'il y avait dans l'une de ses prairies un station-radar allemande d'importance, que les alliés voulaient détruire. On a donc retrouvé pas mal d'éclat d'obus aux alentours, que l'on collectionnait avec mon frère."
Arthur et Adrien ne regagneront leur maison familiale qu'après la libération de Paris, en septembre 1944. "Mes parents sont venus me chercher en voiture. Entre temps, nous avions eu une petite sœur, Marie-Hélène, née le 19 juin. Grâce aux religieuses, nous avions appris à coudre et lui avions confectionné un petit bavoir", sourit Adrien. "J'ai eu mal au cœur de quitter la congrégation. Elles ont été de vraies mères pour nous", se souvient-il. "Nous avons repris une vie progressivement normale à Paris, mais plus personne ne parlait de la guerre. J'ai perdu un oncle et un cousin éloigné, tous deux déportés. Mais ce sont des choses que l'on gardait pour soi. Mes parents ont eu la chance de garder une foi en Dieu très forte malgré l'épreuve, moi, je n'ai jamais compris comment un Dieu bon pouvait permettre de telles horreurs", soupire Adrien. "Mais les sœurs de la Délivrande resteront pour toujours sacrées à mes yeux, et extraordinairement chères à mon cœur."
Pratique