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Trois lettres qui définissent un infini de possibilités, une palette d’émotions, un tissu de relations. Trois lettres qui désignent un tout. La vie. Cette vie, si ardemment défendue, est aujourd’hui, à nouveau, menacée. Autorisant le suicide assisté avec exception d’euthanasie sous certaines conditions, le projet de loi du gouvernement a été largement remanié par les membres de la commission spéciale réunis du 13 au 17 mai. Suppression de la notion de pronostic vital engagé, euthanasie des personnes inconscientes, délit d’entrave… La nouvelle mouture du texte débattu à partir de ce lundi 27 mai à l’hémicycle a fait sauter de nombreux verrous. "Je suis abasourdi par ce qui a été voté en commission", confie volontiers à Aleteia Patrick Hetzel, député LR du Bas-Rhin. Quelque 3.000 amendements ont déjà été déposés en vue du débat en hémicycle dont la moitié pour tenter d’y remédier. Hostile au texte initial, le député n’imaginait pas qu’autant de lignes rouges aient pu être franchies dès la commission. "En réalité ce sont des choses que l’on risquait de retrouver avec l’évolution de la loi au fil des années mais je n’imaginais pas que tout cela puisse d’ores et déjà se retrouver dans le texte validé par la commission spéciale."
De quoi parle-t-on exactement ? Le texte initial prévoyait la possibilité de pratiquer suicide assisté avec une exception d’euthanasie pour les personnes incapables de l’exécuter elles-mêmes. Un amendement adopté par la commission permet désormais aux patients de choisir librement entre l’euthanasie et le suicide assisté. Se donner la mort soi-même ou demander à quelqu’un de le faire pour soi, le choix reviendrait donc au patient. Concernant les critères, les députés de la commission ont tout bonnement décidé de supprimer la notion de pronostic vital engagé. Comprenez bien, cette notion étant jugée trop flou, elle a été remplacée par celle de "phase avancée ou terminal". "On n’est plus du tout dans la même loi (…) Ce n’est pas l’équilibre de la loi qui a été souhaitée", a regretté la présidente de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie, Agnès Firmin Le Bodo, qui a participé à la rédaction du projet de loi lorsqu’elle était ministre.
Quel avenir pour les soins palliatifs ?
Passons maintenant à la demande d’aide à mourir. Les députés de la commission ont voté un amendement introduisant la possibilité de demander une aide à mourir dans ses directives anticipées. Ainsi, si la personne l’a mentionné dans ses directives anticipées, elle pourra être euthanasiée si elle remplit les critères pour accéder à l’aide à mourir même si elle trouve inconsciente. Le délai de 48 heures de réflexion du patient avant d’accéder à l’aide à mourir a lui aussi été assoupli. Les députés ont proposé qu’il puisse être abrégé sur avis du médecin si ce dernier estime "que cela est de nature à préserver la dignité de ce dernier telle que celui-ci la conçoit". Les députés de la commission spéciale sont même allés jusqu’à voter un amendement créant un délit d’entrave sur le droit à mourir comme il en existe un pour l’IVG. "Que l’on aille vers une pénalisation, un délit d’entrave de quelque chose qui n’est même pas en vigueur m’inquiète", reprend Patrick Hetzel. "Rien n’est fait par ailleurs pour qu’il n’y ait pas d’action, de promotion de l’euthanasie ! Pourtant, par parallélisme, cela devrait connaître le même sort !".
Il y a aussi cette question de fond qui, si elle ne dit pas son nom explicitement, plane sur les débats : quel avenir pour les soins palliatifs en France ? "La question de fond est celle des soins palliatifs qui ne sont pas opérationnels sur l’ensemble du territoire national", reprend encore le député. Mais qui investira dans les soins palliatifs quand l’euthanasie et le suicide assisté seront banalisés et présentés comme des solutions peu coûteuses ?
Les verrous ont sauté et les dérives s’annoncent.
Les inquiétudes, alertes, mises en garde et autres coups de gueule n’ont pourtant pas manqué ces derniers mois. Des médecins et des soignants d’abord dont la Sfap, Société française d’accompagnement et de soins palliatifs. "Ce projet de loi constitue un point de rupture majeur car il remet en question dans la loi le devoir fondamental de l’humanité de ne pas provoquer la mort, même à la demande de la personne", ont dénoncé une dizaine d’organisations soignantes dont la Sfap. "La fraternité, en tant que valeur humaniste, agit comme un rempart contre la tentation de répondre à des souffrances par des solutions définitives, en affirmant que la solidarité et l’accompagnement par des soins de vie sont préférables à l’acte de provoquer la mort." Interrogée dans Le Figaro, la présidente de la Sfap et médecin en soins palliatifs, Claire Fourcade, estime qu’en France "45.000 euthanasies pourraient être pratiquées par an, soit une toutes les dix minutes." Un chiffre glaçant.
L’Église n’a de cesse non plus de défendre la vie de son commencement à sa fin naturelle. "Les verrous ont sauté et les dérives s’annoncent", a déploré la présidence des évêques de France à depuis Rome ce mercredi 22 mai. "On a ouvert la boîte de pandore […] On est plus sur l’accélérateur que sur le frein", s’est inquiété Mgr Vincent Jordy, vice-président de la Conférence des évêques de France (CEF). Un point de vue martelé ces derniers mois par les évêques. "On ne peut pas parler de fraternité quand on répond à la souffrance par la mort. Il y a là un usage des termes qui n’est pas acceptable", avait aussi vilipendé Mgr Matthieu Rougé, évêque de Nanterre, au micro de France Inter en mars après la présentation par Emmanuel Macron du projet de loi. "Ce qui me frappe, c’est qu’on a l’impression que dans la start-up nation, les personnes non productives n’ont plus le droit de cité."
Le pape François lui-même n’a eu de cesse de dénoncer cette pratique de l’euthanasie. L’euthanasie est un "échec de l’amour" et le reflet d’une "culture du rejet", s’est encore indigné le pape François le 21 mai. Cette déclaration du Pape s’inscrit dans le sillage de ses nombreuses prises de position élaborées tout au long de son pontificat. "Je suis très triste, parce que dans le pays où la Vierge est apparue, une loi a été votée pour tuer. Un pas de plus dans la longue liste des pays qui pratiquent l’euthanasie", avait-il par exemple déclaré l’an passé alors que le Portugal venait de dépénaliser l’euthanasie. Au retour de son voyage à Marseille, en octobre 2023, le pape François avait confié avoir par le passé abordé le sujet de la fin de vie avec le président français Emmanuel Macron. "Avec la vie on ne joue pas, ni au début ni à la fin", affirmait-t-il lui avoir déclaré. C'est pourtant bien ce que vont faire les députés ces prochains mois. Débattu à partir du 27 mai à l’Assemblée nationale, le texte n’en est qu’au début d’un très long processus législatif qui devrait durer au moins jusqu'à l'été 2025.