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Quel témoignage chrétien dans la vie politique ?

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Michel Cool - published on 20/04/24
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Devant la perspective de la montée en force des partis classés à l’extrême droite au Parlement européen, l’Église doit-elle prendre position ? L’essayiste Michel Cool pense que oui.

Nos voisins, les catholiques belges, prennent au sérieux la montée en puissance de l’extrême-droite en Europe et dans leur pays. Ainsi le numéro de la revue d’inspiration ignatienne En Question, intitulé "Vers un dimanche noir ? Comprendre l’extrême-droite pour mieux y résister", a été largement diffusé en supplément de Dimanche, l’hebdomadaire catholique de référence en Belgique francophone. Réalisé par des sociologues et des théologiens, ce document ne se limite pas à présenter l’histoire et l’actualité de ce courant politique, mais il donne des clés pour organiser ce qu’il appelle le "combat spirituel" contre son idéologie.

Elle fait d’autant plus recette, que les divers partis de cette mouvance ont l’habileté de surfer sur les émotions collectives créées par les crises climatiques, migratoires et sociales qui s’entrechoquent. Ils profitent aussi de la difficulté pour les partis traditionnels en responsabilités à les concurrencer sur ce terrain dominé par la peur et la colère qu’ils ont préempté méthodiquement depuis longtemps. En effet, tous les indicateurs montrent que les prochaines élections européennes du 9 juin prochain devraient consacrer l’entrée en force au parlement européen de Strasbourg de députés siégeant à l’extrême droite de l’hémicycle.   

Un silence gêné

En France où le phénomène est le plus criant et où l’extrême-droite devrait même, dit-on, enregistrer ses meilleurs scores électoraux, l’Église — autant dire les évêques, le clergé mais aussi les forces vives, intellectuelles, militantes et influentes du catholicisme — semble nettement moins préoccupée par ce sujet que sa consœur belge. Elle est davantage désinhibée pour monter au créneau contre le projet de loi gouvernemental sur la fin de vie, où elle veut voir un gage donné aux partisans de la légalisation de l’euthanasie. Ce qui caractérise l’attitude des autorités catholiques face au progrès de l’extrême-droite dans les urnes, c’est ce qu’on appellerait pudiquement un "silence gêné".

Y aurait-il « deux poids, deux mesures » dans la manière de l’Église de France de faire de la politique ?

Il s’était déjà emparé des évêques, à part quelques rares et notables exceptions, lors des deux dernières élections présidentielles qui avaient vu Marine Le Pen se qualifier pour le deuxième tour. Au prétexte d’en appeler à la conscience civique des fidèles, l’épiscopat n’avait pas donné de consigne de vote en faveur d’Emmanuel Macron, donnant ainsi l’impression de renvoyer dos à dos les deux finalistes, sans distinction. Malgré le fait qu’en 2022, 40% des catholiques aient voté pour la candidate du Rassemblement national, contre 30% pour la moyenne des Français, l’épiscopat  continue de s’emmurer dans un "silence gêné" sur l’extrême-droite. Un silence pouvant devenir gênant quand on le compare à ce qu’ont pu dire de grandes voix de ce même épiscopat il y a seulement quelques décennies.

Acte de contrition

En 1985, le cardinal Albert Decourtray, alors archevêque de Lyon, avait fait une déclaration musclée dans sa cathédrale qui lui valut la haine du Front national — ancêtre du Rassemblement national — jusqu’à sa mort en 1994 : «Nous en avons assez, s’était emporté le prélat coiffé de sa mitre, de voir grandir la haine contre les immigrés. Nous en avons assez des idéologies qui la justifient et d’un parti dont les thèses sont incompatibles avec l’enseignement de l’Église. » Son collègue et ami de Paris, le cardinal Jean-Marie Lustiger ne fut pas non plus en reste pour fustiger l’antisémitisme inhérent à l’idéologie de l’extrême-droite. Il en avait personnellement souffert durant sa jeunesse sous la Seconde Guerre mondiale : diffuseur clandestin des Cahiers du Témoignage chrétien, il s’était fait traiter de « sale youpin » et bastonné par des séides du régime collaborationniste de Vichy. 

Le danger, c’est celui de laisser croire aux catholiques que leur foi n’aurait aucun lien avec leur bulletin de vote ; que leur vie spirituelle n’aurait aucun effet sur leur vie citoyenne ; que la foi relèverait de la seule sphère privée.

Pour le cardinal juif de Paris, le racisme et le nationalisme ne devaient souffrir aucune transigeance de la part des catholiques en général et des catholiques français en particulier : sous l’occupation nazie, ils n’avaient pas toujours brillé par leur courage et leur fidélité face à la persécution des Juifs. En 1997, à l’initiative du cardinal Lustiger, les évêques de France avaient solennellement fait repentance et reconnu officiellement la responsabilité de la hiérarchie de l’Église, alors passablement alignée sur l’extrême-droite au pouvoir à Vichy, dans l’horreur de la Shoah. Cet acte de contrition public n’oblige-t-il pas leurs successeurs à un devoir d’extrême vigilance ? 

Deux poids, deux mesures ?

Les temps ont changé objectent les tenants de l’omerta embarrassée de l’Église sur l’extrême-droite. Ils avancent comme arguments : primo, l’idéologie du Rassemblement national s’est amadouée. Secundo, d’autres dangers d’ordre anthropologique menacent plus l’Église et la société. Tertio, l’Église n’a pas à s’ingérer dans la vie politique du pays. Sauf que l’Église, qu’elle le veuille ou non, fait de la politique au grand jour quand elle traîne l’État devant les tribunaux lorsque celui-ci décide pour des raisons de sécurité sanitaire de fermer les églises pendant le confinement, ou quand elle critique l’inscription dans la constitution de "la liberté pour les femmes de recourir à l’avortement". Y aurait-il "deux poids, deux mesures" dans la manière de l’Église de France de faire de la politique ?

Toujours est-il que son silence gêné sur l’extrême-droite pose question. Il l’expose peut-être à un danger, qu’elle sous-estime trop, avec en prime le risque pour elle d’en payer chèrement le prix un jour : ce danger c’est celui de laisser croire aux catholiques que leur foi n’aurait aucun lien avec leur bulletin de vote ; que leur vie spirituelle n’aurait aucun effet sur leur vie citoyenne ; que la foi relèverait de la seule sphère privée, sans aucun impact dans leur vie sociale. Ce processus de dissociation n’aboutit-il pas au final à une dénervation pure et simple de la foi en l’Incarnation, et à une désagrégation du sens de l’engagement chrétien dans la cité ? 

"J’appelle une spiritualité désincarnée, une spiritualité de massacre", avertissait le théologien et jésuite français François Varillon. Attention à ce que le "silence gêné" de l’Église de France sur une idéologie certes en vogue et suivie par de nombreux électeurs catholiques, mais "incompatible avec l’enseignement de l’Église", selon l’expression du cardinal Decourtray, ne se termine pas par un jeu de massacre, dont la victime serait l’expression libre, pérenne et crédible d’un témoignage chrétien dans la société démocratique française.

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