Mexico, le 16 octobre 1968. À la surprise générale, au terme d'une époustouflante dernière ligne droite, une jeune femme à la crinière brune, dossard 117 au couloir 5, remporte le 400 mètres olympique devant la favorite britannique Lillian Board. En 52 secondes, nouveau record d'Europe, mettant une claque de près de deux secondes à son meilleur temps. La course d'une vie. Elle est Française. Elle a 22 ans. Elle s'appelle Colette Besson.
Sous les pavés, l’exploit !
Quand les premières notes de la Marseillaise s'élèvent dans le ciel au-dessus du stade aztèque, la Charentaise fond en larmes et fait chavirer d'émotion les millions de téléspectateurs qui suivent la compétition dans l'Hexagone. Y compris le général de Gaulle, qui lui avouera lors d'une réception à l'Élysée qu'elle avait été la seule femme à l'avoir fait pleurer. Pour l'écrivain et journaliste Antoine Blondin, l'athlète tricolore devient pour la postérité « la petite fiancée de la France » dans une édition marquée par les exploits de Beamon ou Fosbury et les poings levés gantés de noir de John Carlos et Tommy Smith.
Sous les pavés, l’exploit ! Car la native de Saint-Georges-de-Didonne (Charente-Maritime) a construit sa victoire… grâce à mai 1968 ! Pendant que les manifestations étudiantes et les grèves paralysaient le pays, la prof de sports d'une école primaire à la Réole (Gironde), profite de son chômage technique forcé pour aller prendre l'air. Dans tous les sens du terme. Quatre mois et demi en altitude, du 19 mai au 29 septembre, à dormir sous la tente au camping municipal de Font-Romeu, pour affiner sa préparation avec son coach Yves Durand Saint-Omer et son épouse. Le secret d'un finish à couper le souffle. « Ça explique cette dernière ligne droite, racontait-elle. Les autres ont craqué, elles manquaient de souffle… » Rappelons que les épreuves se passent dans la capitale mexicaine à plus de 2000 mètres d’altitude.
Courir pour le plaisir
Besson vient pourtant de très loin. 23e temps des engagées, elle a été évincée des précédents championnats d'Europe par la Fédération, qui n'apprécie guère son iconoclaste entraîneur aux idées novatrices. Privé d'accréditation, Yves Durand Saint-Omer doit d'ailleurs user de stratagèmes pour suivre les pérégrinations mexicaines de sa protégée, qui ignore qu'elle va atteindre en ce soir d'automne l'apogée de sa carrière. À Munich, en 1972, la route du 400 mètres s'arrête pour elle en quarts de finale et elle ne trouve pas le chemin de Montréal en 1976. Elle raccroche les pointes l'année suivante pour devenir entraîneur national au Togo, où son mari est en poste dans une multinationale. Elle sera ensuite conseillère technique régionale en Martinique, à Tahiti, puis professeur de sport à la Réunion avant de revenir enseigner à Paris en 1993. Toujours dans le partage. Elle ne cesse jamais de courir. « J'ai besoin de courir comme de manger, respirer, dormir, soufflait celle qui a laissé son nom à plus de 80 complexes sportifs. J'ai toujours couru pour le plaisir. »
Colette Besson raconte la merveilleuse incertitude du sport, ce qui rend sa relation unique avec les spectateurs et le public. Rien n’est jamais écrit, rien n’est jamais acquis, et tout est possible à condition de travail et de confiance en soi. C’est aussi une histoire bien française d’un pays ou le sport a été très longtemps cantonné à très peu de choses dans les médias et dans la sphère publique. À l’époque, le sport français traverse un long de désert depuis la Coupe du monde de 1958. Il brille sur les pentes des montagnes grâce au formidable Jean-Claude Killy mais cet immense chêne cache un palmarès famélique : 5 médailles aux JO de Rome en 1960, 15 médailles aux JO de Tokyo en 1964… la France est au-delà du 20e rang du classement des nations. C’est pourquoi Colette apporte un immense bonheur collectif, en incarnant la simplicité, la sincérité avec son sourire désarmant. C’est aussi le développement de la télévision en direct qui permet cette communion en temps réel avec les Français. Sa course contre un cancer de la gorge s'arrête le 9 août 2005 à La Rochelle. À 59 ans pour l'état civil. À 22 ans pour l'histoire de France.