Marcel Proust a beau avoir éprouvé le sentiment que le jour de l’an n’était pas un jour différent des autres, nous continuons à croire que la magie d’un calendrier fabriqué de main d’homme peut nous offrir le miracle d’une page blanche. Vivre le premier jour d’un monde nouveau, recommencer, faire comme si le passé ne nous déterminait pas, voilà le rêve que nous achetons fidèlement chaque année, quand même nous savons d’expérience que le 1er janvier n’efface aucune des misères du 31 décembre. Cette indécrottable espérance fait avancer le monde. Pourquoi ne pas y adhérer, le temps d’une carte de vœux ?
Et que faut-il nous souhaiter, en dehors de la nécessaire santé et de la redoutable sainteté ? L’année 2024 sera — entre autres — une année électorale. Le 9 juin aura lieu l’élection des quatre-vingt-et-un députés français qui siégeront au Parlement de l’Union européenne. Cette élection sera une échéance éminemment politique, car elle s’apparentera à une revue d’effectifs. Le mode de scrutin proportionnel, combiné à cette idée que l’enjeu est abstrait (qui se soucie de son eurodéputé ? Qui peut seulement citer son nom ?), et de surcroît situé avant les véritables échéances nationales, aura un effet désinhibant sur l’électeur. Aux européennes, nous nous lâchons. Nous votons comme si nous ignorions qu’il n’y a pas de jour de l’an et que les lendemains d’élection sont des jours comme les autres.
Des élections les plus nombrilistes
On peut donc prévoir que beaucoup d’électeurs français voteront pour se faire plaisir en juin prochain et que beaucoup de commentateurs analyseront les résultats comme ceux d’un sondage en grandeur réelle. Il en fut ainsi en 2019, date de la dernière élection européenne. Cette année-là, les résultats furent extrêmement émiettés. Aucune des listes en lice n’a atteint le quart des voix. Et ceux qui rêvaient de renverser la table sont arrivés en tête. Cela donne déjà des idées à tous ceux qui ne veulent secouer le système en 2024 : on nous annonce par exemple une « Alliance rurale » qui se séparera des Républicains et tentera de rejouer seule le match de la liste Chasse, pêche, nature et tradition des européennes de 1999.
Nous devons souhaiter que la politique retrouve un peu de son humanité. La politique n’est grande que lorsqu’elle est une politique du cœur.
On peut anticiper qu’en juin prochain, les mêmes causes produiront les mêmes effets. L’intérêt supérieur de la France, de l’Europe, et de la France en Europe ne sera pas le sujet. Les européennes risquent une fois de plus d’être les plus nombrilistes, les plus politiciennes, les plus domestiques de nos élections. Elles n’offriront qu’un faux diagnostic et ne préjugeront en rien des élections nationales à venir.
Une politique du cœur
Au-delà de ces épiphénomènes, que faut-il souhaiter pour notre année politique ? Nous devons souhaiter que la politique retrouve un peu de son humanité. La politique n’est grande que lorsqu’elle est une politique du cœur. On nous répète à l’envi que la politique ne doit pas faire de sentiments, qu’il ne faut pas mélanger les genres, que les bons sentiments ne font pas la bonne politique. On voit où cela mène. Est-ce une politique inhumaine que nous voulons ? La seule politique réaliste pour la France est une politique fidèle à sa vocation séculaire de liberté et de chrétienté. Les Machiavels au petit pied qui ne croient qu’à la force sont depuis toujours les dindons de la farce. À s’imaginer que la politique se réduit au réalisme brutal, ils sombrent inévitablement dans l’idéologie et la faiblesse.
Nos grands hommes politiques du passé — même récent — ont en partage de n’avoir jamais séparé la politique du sentiment, ni séparé le sentiment de la réalité. Je pourrais en citer maints exemples, mais je préfère ne pas entrer dans les détails. Ne gâchons pas la trêve des confiseurs.