Cher ami, à propos du texte magistériel Fiducia supplicans, qui vous tourmente, vous m’écrivez : "Ce qui me gêne ici ce n’est pas bien entendu la bénédiction des personnes… c’est la bénédiction de l’entité couple." Et vous ajoutez : "Il me semble que le salut est personnel." À cela je réponds : il est certes personnel, mais pas purement individuel, car la personne humaine est un être de relation, sur le plan anthropologique comme sur celui infiniment profond de la Communion des saints. Pourquoi l’Église devrait-elle s’interdire de bénir, non pas l’union homosexuelle comme telle, mais la relation de deux personnes qui veulent faire ensemble, pour le pire (l’irrégularité de leur union) mais aussi pour le meilleur, leur chemin vers l’amour de charité, c’est-à-dire vers Dieu ?
Purifier une relation
Tous les soignants et les prêtres qui nous sommes occupés de sidéens, à l’époque où le sida tuait inexorablement, pouvons témoigner de tant de cas où l’un des deux compagnons a soigné l’autre avec un dévouement admirable jusqu’à sa mort. L’un d’eux m’a dit avoir vécu avec son compagnon, avec qui tout rapport sexuel était désormais impossible, "leurs plus beaux moments d’amour". Il ne s’agit pas de bénir un lien pseudo-conjugal, et c’est pour cela que le texte exige que cette bénédiction n’utilise pas le rite liturgique du mariage et qu’elle n’ait pas de lien avec un mariage civil. Il s’agit néanmoins d’implorer l’aide de Dieu pour le devenir d’une relation qui, bien que dans une "situation irrégulière", peut se purifier et grandir jusqu’à la charité divine en devenant de plus en plus oblative. Comme dit l’exhortation Amoris lætitia au n. 305 :
Il est possible que, dans une situation objective de péché — qui n’est pas subjectivement imputable ou qui ne l’est pas pleinement — l’on puisse vivre dans la grâce de Dieu, qu’on puisse aimer, et qu’on puisse également grandir dans la vie de la grâce et dans la charité, en recevant à cet effet l’aide de l’Église. Le discernement doit aider à trouver les chemins possibles de réponse à Dieu et de croissance au milieu des limitations. En croyant que tout est blanc ou noir, nous fermons parfois le chemin de la grâce et de la croissance, et nous décourageons des cheminements de sanctifications qui rendent gloire à Dieu. Rappelons-nous qu’“un petit pas, au milieu de grandes limites humaines, peut être plus apprécié de Dieu que la vie extérieurement correcte de celui qui passe ses jours sans avoir à affronter d’importantes difficultés” (Evangelium gaudium, 44).
La dérive « tutioriste »
L’attitude que l’on appelle en théologie morale "tutioriste" ("la plus sûre car la plus dure" se lamentait déjà saint Augustin) est obnubilée par la dimension pédagogique que doivent avoir avant tout pour elle les comportements officiels de l’Église. Elle interdisait jusqu’au concile Vatican II la sépulture chrétienne aux suicidés et au XVIIe siècle aux gens de théâtre comme Molière. Aux premiers siècles, elle voulait qu’on s’interdise de réconcilier par la pénitence ceux qui avaient abjuré pendant la persécution (lapsi). Elle redoute à chaque fois le mauvais usage que l’on pourrait faire de la miséricorde de l’Église, au risque de faire de celle-ci "une Église des purs" au lieu de cette "nasse mêlée" (Mt 13, 47-48) dont parle le Christ.
Ce nouveau texte magistériel est un nouveau pas sur le chemin d’une Église qui se doit d’être avant tout un témoin de la Miséricorde de Dieu.
Aussi Fiducia supplicans prend-elle des précautions : pas de bénédiction liturgique et pas de lien avec le mariage civil. Mais ce nouveau texte magistériel est néanmoins un nouveau pas sur le chemin d’une Église qui se doit d’être avant tout un témoin de la Miséricorde de Dieu. N’avons-nous tous pas eu, parmi nos proches ou nos amis, des cas, dans le domaine sexuel et dans celui du don de la vie, où nous n’avons pas souhaité voir s’appliquer la loi morale dans toute sa dureté, celle-là même que nous réclamons pédagogiquement quand il s’agit des autres ?
L’assistance de l’Esprit saint
Ne vous laisser pas troubler par des soupçons distillés par certains médias, François est le successeur de Pierre à la tête de l’Église de Rome pour le bien de toute l’Église catholique. Ses défauts personnels ne sauraient entraver l’assistance que son magistère doctrinal (à la différence de son rôle de juge et de gouvernant) reçoit de l’Esprit saint selon la promesse du Christ : "Tu es Pierre et sur cette Pierre je fonderai mon Église [la mienne non la tienne]" (Mt 16,18). Voilà qui doit fonder en Dieu votre foi autrement plus solidement que nos diverses sensibilités et opinions.