Les Évangiles demeurent étonnamment silencieux sur la jeunesse de Marie, la seule référence dont nous disposions étant celle de la généalogie laissée par l’Évangéliste Matthieu : "Jacob engendra Joseph, l’époux de Marie, de laquelle fut engendré Jésus, que l’on appelle Christ" (Mt 1, 16), ce qui ne nous informe guère sur ses premières et jeunes années. Les évangiles apocryphes, non reconnus par l’Église, ne sont guère plus loquaces car, après sa naissance miraculeuse, sa trace se perd dans ces sources non canoniques après que la toute jeune fille ait été présentée au Temple afin que sa vie soit consacrée à Dieu. Il s’agirait alors de la toute première offrande de Marie à Dieu, une vie consacrée à l’apprentissage des Écritures, à la prière et à la méditation.
Certaines légendes rapportent que Marie aurait même durant ses années de jeunesse tissé le voile du Temple, celui qui devait se déchirer le jour de la mort du Christ sur la Croix… Si aucune de ces données ne repose sur des réalités historiques vérifiables, elles peuvent néanmoins servir de support à notre propre méditation, sur ce "oui" précoce dans la vie de la Vierge Marie à l’invitation divine.
Entre dévotion à Marie et Réforme
Curieusement, c’est à la fin du Moyen Âge que l’éducation de la Vierge va trouver des développements que les sources bibliques ne nous rapportent pas. Ce thème deviendra si fertile qu’il accaparera même toute l’attention des plus grands artistes de l’époque. Ainsi ces derniers se concentreront essentiellement sur l’apprentissage de Marie et sur la lecture de la Bible par celle-ci, même si une fresque très ancienne du Maestro del Bambino Vispo remontant au XVe siècle, et visible aujourd’hui au Museo dell'Opera di Santa Croce de Florence, montre la toute jeune fille apprenant à coudre avec sainte Anne, sa mère.
Mais, ce sera surtout avec le Concile de Trente (1545-1563) que cette image de l’éducation de la Vierge se développera à une vitesse fulgurante, et ce aux fins de contrer la Réforme protestante qui balayait l’Europe à cette époque. La réaffirmation de la doctrine catholique mise à mal par les thèses de Luther et de Calvin imposera, en effet, à l’Église de rappeler les fondamentaux de la foi en débutant par l’importance de la place de la Vierge Marie, et par-là même de son éducation, qui sera le point de départ d’une dévotion mariale importante.
Le rôle essentiel des artistes
Les plus grands artistes seront dès lors convoqués afin de produire une culture visuelle encourageant le rôle éducatif de la mère de famille, ce qu’illustrera à merveille sainte Anne faisant l’apprentissage de la lecture à sa jeune enfant que l’on retrouvera sur d’innombrables tableaux et sculptures. Le regard porté par le célèbre peintre flamand Pierre-Paul Rubens (1577-1640) se prêtera également à cette fonction éducative en représentant Marie, jeune fille, dans de riches atours propres au XVIIe siècle, vêtue d’une robe de soie gris perle au pied de sa mère Anne et de son père Joachim sous le regard bienveillant de deux angelots portant une couronne au-dessus de la jeune fille.
Chaque artiste viendra enrichir ce modèle de disponibilité et de foi de Marie ; ainsi, peut-on également retenir Georges de la Tour (1593-1652) qui, pour sa part, livrera une lecture plus intimiste avec un clair-obscur si caractéristique de son art prolongeant celui du Caravage. En un tableau éclairé par la seule lumière d’une bougie, le visage étonnamment concentré de la jeune Marie est exclusivement tourné vers les Saintes Écritures que sa mère lui donne à lire avec recueillement.
Au XIXe siècle, le grand peintre Eugène Delacroix proposera lui aussi une belle version de cette éducation de la Vierge qui lui sera inspirée par une scène de la vie quotidienne aperçue lors de son séjour à Nohant chez son amie Georges Sand :
Je viens de voir en rentrant dans le parc un motif de tableau superbe, une scène qui m’a beaucoup touché. C’était votre fermière, avec sa petite fille. J’ai pu les regarder tout à mon aise derrière un buisson où elles ne me voyaient pas. Toutes deux étaient assises sur un tronc d’arbre. La vieille avait une main posée sur l’épaule de l’enfant qui apprenait attentivement une leçon de lecture.
Il n’en faudra pas plus à l’artiste pour évoquer à partir de ces deux personnages campagnards la Vierge Marie et sainte Anne en une scène inoubliable et devenue désormais classique.