Durant la Grande Guerre, une mystique poitevine qui se fera l’apôtre de la messe perpétuelle, rencontre le président du Conseil, Raymond Poincaré, pour lui demander de faire figurer le Sacré-Cœur sur le drapeau français. Malgré le refus des autorités et le silence de l’Église sur cette demande, des centaines de milliers d’insignes du Sacré-Cœur circuleront dans les tranchées.
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En ce début d’année 1917, alors que la situation sur le front est mauvaise, une jeune paysanne vendéenne, Claire Ferchaud, écrit au président du Conseil, Raymond Poincaré, se présentant comme la messagère du Sacré-Cœur de Jésus. Née à Loublande en 1896, sur la paroisse de la cité montfortaine de Saint-Laurent-sur-Sèvre, dans une famille pieuse, Claire a, très jeune, dit bénéficier de visions et locutions intérieures de Notre-Dame et du Christ, qu’elle voit d’abord sous les traits de l’Enfant Jésus et qui grandit en même temps qu’elle, lui apparaissant désormais sous les traits d’un jeune homme. Ces visions et messages s’amplifient depuis 1916.
Comme les révélations de Paray-le-Monial
Le Seigneur révèle à Claire avoir "le cœur broyé à cause des péchés de la France", et affirme en lui montrant son cœur ouvert : "Cette plaie profonde, c’est la France qui me l’a faite" puis lui demande d’aller trouver le président du Conseil pour réclamer la consécration de la France au Sacré-Cœur dont l’emblème sera apposé sur les drapeaux nationaux. En échange, le Christ promet une prompte et totale victoire des armes françaises ; sinon, la guerre s’éternisera, aucune paix ne sera garantie ni définitive, la France allant pour longtemps d’épreuves en épreuves.
En fait, rien d’original dans ces messages conformes aux révélations de Paray-le-Monial. La seule innovation est une condamnation de la franc-maçonnerie, "instigatrice du conflit" dont elle serait bénéficiaire ; selon Claire, certains ministres francs-maçons n’hésitent pas à trahir et livrer les secrets de la défense nationale à l’Allemagne. Cependant, tous ne sont pas corrompus. Claire a vu, en décembre 1916, Poincaré à genoux dans sa chambre et entendu le Christ dire : "Raymond, pourquoi me persécutes-tu ?"
Le Sacré-Cœur fleurit sous les vareuses
Cependant, dès leur révélation, "les faits de Loublande" connaissent un immense retentissement dans les milieux catholiques. Depuis 1914, le culte du Cœur Sacré connaît un essor considérable, soutenu par l’épiscopat français et le pape Benoît XV. Le cardinal Amette, archevêque de Paris, a fait le lien entre la consécration de la basilique de Montmartre et le "Miracle de la Marne" qui a préservé la capitale de l’invasion. L’œuvre des insignes du Sacré-Cœur à Lyon répand par centaines de milliers sur le front images, insignes, fanions, drapeaux frappés du divin Cœur, ce qui ne va pas sans friction avec la hiérarchie militaire ou civile qui voit d’un mauvais œil cette floraison d’un symbole religieux jugé contre-révolutionnaire et royaliste. Interdit, le Sacré-Cœur n’en fleurit pas moins sous les vareuses, avec la complicité d’officiers gagnés à sa cause, et parfois dans les tranchées, lorsque les hommes ne redoutent pas d’être dénoncés. Ces "persécutions", Claire les connaît. Ce n’est pas un hasard si sa lettre à Poincaré est confiée au député royaliste de la Vendée. Ce premier courrier ne reçoit pas de réponse. Claire insiste.
Dans l’intervalle, l’évêque de Poitiers, Mgr Humbrecht, a réuni une commission de théologiens afin de se pencher sur la personnalité, les dires et les "messages" de Mademoiselle Ferchaud. L’affaire prenant de l’ampleur, Raymond Poincaré, le 21 mars 1917, consent à recevoir la jeune fille. Cet entretien ne débouche sur rien. Ainsi qu’il le lui explique, il ne peut prendre seul la décision de modifier le drapeau national, ou de ratifier la consécration au Sacré-Cœur, déjà faite par les autorités religieuses mais jamais par le pouvoir politique. Il faut un vote de la Chambre et celle-ci, laïcarde, repoussera ces demandes.
Seul Foch prend Claire au sérieux
Comprenant qu’elle n’a rien à attendre du pouvoir, Claire écrit aux principaux généraux, leur demandant de consacrer leurs troupes afin d’obtenir "salut et victoire sur tous nos ennemis.". Seul Foch, qui ne cache pas ses convictions religieuses, prend sur lui, à titre personnel et sans bruit, d’obéir, mais les ministres de la Guerre, Painlevé, et de l’Intérieur, Malvy, interdisent toute consécration des combattants au Sacré-Cœur et ordonnent la saisie des emblèmes. La chute de Malvy, compromis dans le scandale du Bonnet rouge, journal qui s’est révélé travailler pour l’Allemagne, si elle donne corps à l’une des prédictions de Claire, ne change rien. Une fois pour toutes, la "France officielle refuse de reconnaître Dieu pour son Maître".
Y a-t-il des pressions exercées sur l’Église, comme beaucoup en restent persuadés ? C’est possible, dans le contexte de l’époque et les négociations menées pour apaiser les tensions nées de la loi de séparation de l’Église et de l’État. Le fait est qu’en 1920, Rome dénie tout caractère surnaturel aux visions et messages reçus par Claire Ferchaud, sans justifier ni expliquer les raisons de cette condamnation qui ne sera jamais levée. Les projets de fondation d’une communauté religieuse expiatrice autorisée par l’évêque de Poitiers en 1918, où Claire prononcera ses vœux le soir de Noël sous le nom de Sœur Claire de Jésus crucifié, la fondation d’une "messe perpétuelle" réparatrice seule à même, selon elle "de percer le dôme d’airain" que les péchés de l’humanité font peser sur le monde, interdisant aux grâces collectives de le racheter, tout cela est abandonné, moqué, ridiculisé.
Souvent privées de la messe et des sacrements, Claire Ferchaud et ses compagnes ne renonceront pas. La messagère désavouée du Sacré-Cœur s’éteindra à Loublande en 1972, au terme d’une vie de brimades et d’humiliations mais toujours obéissante, persuadée que le destin de la France eût été complètement différent si elle avait été entendue.