Changer notre politique de coopération
Il est également possible de pratiquer une aide au développement des pays de départ destinée, non plus à cajoler des élites politiques locales corrompues pour complaire aux intérêts des industriels (matière premières) et de l’État français (relais d’influence), mais à permettre aux populations de vivre décemment et dignement dans leurs pays sans avoir à choisir les routes de l’exil vers un eldorado européen fantasmé.
Pour y parvenir il faudrait d’abord changer radicalement notre politique de coopération qui jusqu’ici consistait à faire payer les contribuables français afin d’enrichir les kleptocrates et les tyrans africains "amis de la France". Les pauvres des pays riches payaient pour les riches des pays pauvres tandis que les pauvres des pays pauvres souffraient et que les plus jeunes et les plus courageux d’entre eux émigraient : principalement dans les pays africains voisins et, dans une moindre mesure, vers l’Europe et la France.
Le chantage financier des pays de départ
C’est ce dernier point du discours du pape François qui, la plupart du temps, est ignoré voire éludé par les médias. Son discours est en effet cohérent si on le prend dans son ensemble : l’accueil des migrants en perdition correspond aux mesures d’urgence tandis que le droit de ne pas émigrer, qu’il rappelle souvent, est la solution sur le fond. Comme on dit en matière logistique, il faut distinguer la gestion des flux et la gestion des stocks. Le discours pontifical sur les migrants est indissociable de son discours sur la protection de l’environnement, l’accueil des plus pauvres et la fraternité. En d’autres termes le discours du pape sur les migrants est l’autre face de son discours sur la société de consommation et la culture du déchet qu’elle entraîne, qu’elle promeut et sur laquelle elle prospère.
Le discours que le Pape adresse aux dirigeants politiques est réaliste et cohérent… mais terriblement exigeant.
Contrairement aux apparences, le discours que le Pape adresse aux dirigeants politiques est réaliste et cohérent… mais terriblement exigeant. C’est pour cela que nul n’a vraiment envie de l’entendre et que nos relais médiatiques se dispensent de l’exposer dans sa cohérence. Car il impose de réviser de manière déchirante les pactes faustiens que nos gouvernements successifs ont passé avec des régimes qui profitent de cette immigration sauvage en en faisant un instrument de chantage financier vis-à-vis de la France (Algérie, Tunisie, Turquie) et/ou qui en profitent pour déstabiliser notre société en y radicalisant les musulmans (Qatar, Turquie). Cela supposerait de s’aliéner des pays avec lesquels les grands groupes français font des affaires et de renoncer à des approvisionnements privilégiés en matières premières.
Démanteler les filières de passeurs
C’est seulement à ce prix que l’État français pourrait mettre en œuvre une politique de démantèlement des filières de passeurs clandestins, à la fois esclavagistes et tortionnaires, qui font préférer aux migrants le risque de périr noyés dans la Méditerranée que de retourner dans l’enfer du désert libyen... Bref, cela supposerait que l’État français et ceux qui sont à sa tête depuis plusieurs décennies aient le courage et la compétence de faire des choix politiques cohérents pour récupérer les instruments de notre liberté d’agir. Et c’est là que le bât blesse.
Comment accueillir et intégrer les migrants — comme le demande le pape François — quand l’État français n’est plus capable d’intégrer qui que ce soit, y compris les fils de Gaulois ? L’école n’instruit plus et s’est muée en gigantesque garderie, le service militaire a été supprimé, le patrimoine et la culture ne sont plus transmis que dans des familles françaises de longue date et culturellement favorisées, les forces de l’ordre sont réduites à l’impuissance, le coût des transports empêche parfois d’accepter un travail éloigné, le fait de travailler n’empêche plus de pointer aux restaurants du Cœur pour manger et ne garantit plus de pouvoir se loger décemment tandis que la suppression de nos frontières nous condamnent à subir sans plus pouvoir agir.
Bien commun national et universel
Malheureusement, en France, la puissance publique a laissé place à l’impuissance publique et la plus grande force de nos dirigeants est leur force d’inertie. Cette inertie que les Français déplorent et dont ils souffrent quotidiennement sur le plan national, le pape François la déplore sur le plan international. Mais la différence, c’est que les Français la déplorent en considérant, légitimement, leur propre sort tandis que le pape François la déplore en considérant le sort des migrants. Légitimement là aussi. Pour le Saint-Père, l’urgence est à l’urgence qui est pour lui le sort des plus démunis surtout s’ils sont les plus nombreux. Comparativement, le sort des Français est moins dramatique que le sort des Africains. Pour le pape, dont la vision des problèmes et les responsabilités pastorales ont une dimension planétaire, la France n’est pas sa préoccupation première.
Le pape François n’a pas la responsabilité de diriger l’État français ni de s’occuper des affaires intérieures de la France. Il fait son job.
Choquant ? Pas tant que ça. Le pape François n’a pas la responsabilité de diriger l’État français ni de s’occuper des affaires intérieures de la France. Il fait son job. Ce qui est choquant, c’est que l’État français et ses responsables politiques successifs aient renoncé à faire le leur : œuvrer au bien commun dans le cadre des frontières de leur pays. Mais il est parfaitement normal que le pape François n’envisage pas le bien commun d’un point de vue strictement national et qui plus est d’un point de vue français. Il considère le bien commun du point de vue de l’humanité tout entière (migrants, environnement, périphéries) car il est le Pape de l’Église catholique — terme qui signifie universel — et non pas d’une Église gallicane. C’est à ce titre qu’il nous rappelle que nous ne pouvons pas considérer notre sort indépendamment de celui de nos frères qui vivent hors de nos frontières, et en particulier sur le continent africain. Dans le livre de la Genèse, Dieu interroge Caïn : "Qu’as-tu fait de ton frère ?" (Gn, 4). Le Vicaire du Christ nous rappelle que nous n’avons pas le droit de lui répondre, comme Caïn : "Suis-je le gardien de mon frère ?"
Le pape François ne fait pas autre chose que son devoir qui consiste à nous rappeler ce que Dieu attend de nous : que nous L’aimions de tout notre cœur, de toute notre âme, de tout notre esprit et notre prochain comme nous-mêmes. Or, le prochain c’est celui qui nous est proche parce qu’il est à proximité, pas celui que nous aurions spontanément choisi. Celui qui est à portée de main, c’est celui que l’Esprit saint a mis sur notre chemin. C’est le Christ qui vient dans la figure du prochain, ce que l’on appelle parfois aussi "le sacrement du frère".
Mettre un terme à l’impuissance politique
Si nous nous sentons douloureusement pris en tenaille entre les injonctions évangéliques du pape François et l’impuissance politique qui nous paralyse et nous empêche d’entrevoir la moindre solution ce n’est pas en accusant le pape François de faire trop de politique, de ne pas aimer la France ou d’être irresponsable que nous trouverons la solution. Casser le thermomètre n’a jamais fait baisser la fièvre. La solution consiste à utiliser les moyens démocratiques mis à notre disposition — les différents scrutins qui nous permettent de choisir et de sanctionner nos dirigeants politiques — pour élire des responsables désireux et décidés à mettre un terme à l’impuissance politique qui nous paralyse et qui est la cause de notre désespoir. Alors seulement nous pourrons accueillir et intégrer nos frères réfugiés de manière viable, responsable et évangélique parce que nous en aurons — enfin ! — les moyens.