Trois Évangélistes ont rapporté la singulière guérison opérée par Jésus sur un Romain. Si Luc et Matthieu offrent un récit relativement similaire, le témoignage de Jean diffère pour sa part sensiblement quant à la personne même guérie : selon l’Évangéliste, ce ne serait pas le serviteur du centurion, mais bien le propre fils de ce dernier, ce qui peut sembler plus vraisemblable. Au-delà de cette divergence, la scène se déroule à Capharnaüm. Là, Jésus se trouve abordé par un centurion qui le supplie de guérir son fils, donc, ou son serviteur souffrant. Et alors qu’à cette époque Juifs et Romains ne se côtoyaient pas pour des questions de pureté rituelle, Jésus lui répondit, contre toute attente, qu’il s’apprêtait lui-même à aller le soigner. Survint alors l’étonnante remarque du centurion dont les mots nous sont si familiers lors de la messe (Mt 8, 8) :
Seigneur, je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit, mais dis seulement une parole et mon serviteur sera guéri.
Le centurion étaie alors sa réponse par une description très détaillée de l’ordre et de la discipline romaines : "Moi-même qui suis soumis à une autorité, j’ai des soldats sous mes ordres ; à l’un, je dis : “Va”, et il va ; à un autre : “Viens”, et il vient, et à mon esclave : “Fais ceci”, et il le fait." Jésus admire alors la foi de ce Romain dont il fait remarquer à ceux qui le suivaient qu’Il n’avait pas trouvé d’équivalent en Israël…
Une guérison exemplaire
À l’image des autres miracles réalisés par Jésus, cette guérison véhicule un message de foi qui importe plus que le spectaculaire du surnaturel. Jésus conclut en effet le court entretien avec le centurion par ces mots forts et déterminants : "Rentre chez toi, que tout se passe pour toi selon ta foi. Et, à l’heure même, le serviteur fut guéri". "Selon ta foi", telle est l’invitation essentielle adressée par Jésus non seulement au centurion païen occupant la Palestine, mais aussi au plus grand nombre sans distinction. Une foi qui peut, nous le savons, soulever des montagnes tout autant qu’elle permit de guérir le fils/serviteur du centurion. Il est à noter que Jésus ne se déplacera finalement pas à la maison du centurion, comme Il l’avait initialement proposé. Le miracle aura ainsi lieu "à distance", à l’heure même précise l’évangile. Ce rapport de la foi du centurion et de la guérison instantanée obtenue fut amplement souligné notamment par saint Augustin (Sermon 62, 1.3-4, PL 38, 414-416.) :
Le Seigneur n'est donc pas allé chez le centurion, mais il a fortifié sa foi. Sans y entrer, il a fait sentir sa divine présence dans cette maison et lui a apporté la guérison.
"Le Christ et le centurion" de Sebastiano Ricci
Le peintre vénitien Sebastiano Ricci (1659-1734) livre certainement l’une des plus belles évocations de ce miracle de guérison du serviteur du centurion dans le plus pur style baroque italien du début XVIIIe siècle. La diagonale traversant le tableau vient souligner l’humilité du centurion, un centurion agenouillé tel un serviteur face à Jésus penché sur lui en une posture bienveillante. Tous les personnages qui l’entourent semblent étonnés par cette attitude guère habituelle pour un chef militaire d’occupation. L’éclat des couleurs, le raffinement de l’architecture sans oublier les jeux de lumière concourent à faire de cette œuvre tardive de l’artiste l’un des plus beaux hommages à cette foi du centurion saluée par le Christ.