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En 1453, les Ottomans prennent Constantinople et depuis, face à une chrétienté plus occupée de ses querelles que du péril commun, ils avancent en Méditerranée, puis en Adriatique et dans les Balkans. En cette année 1480, le sultan Mehmet II s’est fixé un objectif : la conquête de l’Italie et la prise de Rome. À vues humaines, c’est tout à fait envisageable mais très peu, en Europe, s’en préoccupent. Début juillet, le pacha de Valona, Gehdit Ahmed, donne le coup d’envoi de cette campagne et fait voile, à la tête d’une flotte de plus de 150 navires vers Otrante, ville la plus orientale d’Italie. Le 28 juillet, il jette l’ancre sous les remparts et commence à bombarder la cité.
Tous les hommes de plus de 15 ans
La disproportion des forces en présence est si criante que, la nuit suivante, la garnison locale, formée de mercenaires, profite de l’obscurité pour fuir, abandonnant les habitants. Cette désertion doit entraîner la capitulation immédiate d’Otrante mais la population ne s’y résout pas, électrisée par un vieux tailleur, Antonio Pezzulo Primaldo, forte personnalité qui sait relever le courage de ses concitoyens et leur démontre la lâcheté, d’ailleurs vaine car les Turcs ne les épargneraient pas, de se rendre. Mieux vaut résister à tout prix, ce qui laissera au roi de Naples, leur souverain, le temps de les secourir. Il n’est pas sûr que les Otrantais croient à l’arrivée de renforts mais ils ont le sens de l’honneur et savent, de toute façon, qu’ils n’auront le choix, si la ville tombe, qu’entre la mort ou la conversion à l’islam. Dans l’impossibilité de défendre la ville, ils décident de se replier sur la citadelle.
Tous les hommes de plus de quinze ans sont massacrés, les femmes et les enfants voués à l’esclavage.
D’ordinaire, la population d’Otrante s’élève à 6.000 âmes, mais le débarquement a semé la panique dans les environs et beaucoup de gens ont voulu se mettre à l’abri en ville. Combien sont-ils ? Entre 12 et 20.0000. C’est trop et quand les Turcs, le 29 juillet, s’emparent d’Otrante, ils y trouvent de nombreux malheureux qui n’ont pu gagner la forteresse. Tous les hommes de plus de quinze ans sont massacrés, les femmes et les enfants voués à l’esclavage. Ce spectacle n’incite évidemment pas les réfugiés de la citadelle à se rendre et ils vont résister autant que faire se pourra, malgré les bombes, le manque de nourriture et d’eau, la chaleur, l’angoisse qui monte. Enragé de cet entêtement, Gedit Ahmed Pacha promet de le leur faire payer très cher et incite son traducteur, un prêtre calabrais apostat converti à l’islam nommé Jean, à promettre à ses compatriotes sa clémence en cas de reddition et d’abandon du christianisme. Ce discours soulève le dégoût des gens d’Otrante. Le siège continue.
"Nous préférons mourir mille fois"
Enfin, le 11 août, l’artillerie turque, qui concentre ses tirs sur les points faibles des remparts, réussit à y ouvrir des brèches suffisantes pour permettre aux janissaires d’entrer. La citadelle investie, c’est la panique totale que le vieil évêque, Mgr Stefano Agricoli, escorté de ses prêtres, parvient à canaliser en entraînant ses ouailles vers la cathédrale. Quitte à mourir, mieux vaut que ce soit au pied de la croix. La plupart des fuyards n’auront pas le temps de l’atteindre. À travers les rues, les Turcs se livrent à un effroyable massacre, épargnant 5.000 enfants et jeunes femmes destinés aux marchés aux esclaves. L’on parlera d’au moins 12.000 tués au cours de l’assaut. Ils seront 813, chiffre officiellement retenu par l’Église lors de l’enquête sur la réalité du martyre, à atteindre la cathédrale, où les Turcs entrent sur leurs pas.
Ils s’emparent de l’évêque, du commandant de la milice bourgeoise, Francesco Largo, qui, abandonné par les troupes royales, a assumé seul la défense d’Otrante, et les mettent à mort avec des raffinements de cruauté. Largo est scié vivant en deux, Mgr Agricoli lentement dépecé vif à coups de cimeterres. Ce spectacle atroce n’a rien de gratuit. Il s’agit de frapper d’épouvante leurs compagnons qui, privés de leurs chefs militaire et spirituel, pourraient se montrer plus accommodants. Jean, le prêtre apostat, se lance dans un discours mielleux, interrompu net par le vieil Antonio Primaldo qui, se tournant vers ses compagnons, déclare :
Mes frères, nous venons de combattre pour notre patrie, nos maîtres, notre vie d’ici-bas. Le temps est venu pour nous de nous préoccuper du salut de nos âmes. Notre Seigneur est mort pour nous sur la croix, il convient qu’à notre tour, nous mourions pour Lui. Restons donc fermes et constants dans notre foi ; confessons que Jésus-Christ est notre Seigneur et Dieu et que nous préférons mourir mille fois, de n’importe quelle mort, plutôt que Le renier et nous faire turcs. Car, par cette mort terrestre, nous obtiendrons la vie éternelle et la couronne du martyre.
La tête tranchée, il se relève
À ces mots, tous s’écrient qu’ils préfèrent endurer mille morts, même les pires, plutôt qu’abjurer le catholicisme. Le 14 août, les 813 confesseurs de la foi, enfermés dans la cathédrale, profanée et transformée en écurie, sont extraits de leur prison et conduits, attachés les uns aux autres en une longue file, jusqu’au Col de la Minerve. Le long du chemin, le pacha a rassemblé leurs épouses et enfants, afin qu’ils incitent, par leurs supplications et leurs larmes, leurs frères, pères, maris à abjurer, sauvant leur vie et rachetant la liberté des leurs, car l’Islam interdit de réduire en esclavage la famille d’un musulman. Toujours soutenus par Primaldo, les hommes restent sourds à ces plaintes et marchent vers le lieu du supplice sans trembler. Pour faire taire le tailleur, ordre est donné de le décapiter le premier.
Antonio, la tête tranchée, se relève comme si de rien n’était et reste debout, dominant la scène sanglante qui l’entoure.
Se produit alors l’impensable, dont témoigneront la main sur l’Évangile quatre survivants de la tuerie : Antonio, la tête tranchée, se relève comme si de rien n’était et reste debout, dominant la scène sanglante qui l’entoure. Tous les efforts déployés pour faire tomber ce cadavre resteront vains. Le martyr ne se couchera dans la mort qu’après que son dernier compagnon de supplice ait rendu l’âme. Ce dernier compagnon ne sera pas un habitant d’Otrante mais l’un des soldats turcs transformés en bourreau qui, touché par la grâce, bouleversé par le courage des martyrs, tombera à genoux et confessera qu’il n’est d’autre vrai Dieu que Celui des chrétiens. Pour cet effroyable blasphème, cet homme, que les chroniques nomment Bersabei, sera aussitôt empalé.
L’échec des Turcs et la gloire des martyrs
Le massacre terminé, les vainqueurs se retirent, convaincus de bientôt prendre Naples et Rome. Ils se trompent. Si le roi de Naples a dû, faute de moyens, renoncer à secourir Otrante, la résistance désespérée de la ville, et les deux semaines gagnées par ses défenseurs, ont permis de réunir assez de troupes pour interdire aux Turcs d’aller plus loin. Gedit Ahmed Pacha ne conquerra pas l’Italie. En octobre 1481, il devra, menacé par la contre-attaque napolitaine, abandonner Otrante et se retirer.
Il sera alors possible de recueillir les restes des martyrs, déposés dans l’église bâtie à l’endroit de leur supplice, Santa Maria dei Martiri, dans l’église Santa Catarina de Formiello à Naples, et dans la cathédrale d’Otrante, où leurs reliques, exposées aux regards, emplissent sept gigantesques armoires. Lorsque s’ouvrira, très vite, la procédure de béatification, fait inusité et hommage à son héroïsme, ce ne sera pas, comme le veut l’usage, le nom de l’ecclésiastique le plus important du groupe de martyrs, Mgr Agricoli, qui figurera en tête de liste mais celui du vieux tailleur ; de sorte que l’on parle d’Antonio Primaldo et de ses compagnons. Il l’a bien mérité. Leur canonisation, en dépit d’un nombre impressionnant de miracles attribués à leur intercession, attendra 2012, lorsque la guérison d’une religieuse atteinte d’un cancer en phase terminale convaincra Benoît XVI d’oublier toute prudence diplomatique afin d’offrir les martyrs d’Otrante en exemple aux chrétiens victimes de persécutions islamiques.