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Déjà, les premiers jeunes catholiques sont en route pour les JMJ de Lisbonne. Le pape François, 86 ans, s’y rendra aussi, malgré son opération à l'abdomen. Du cœur au ventre il lui en faudra pour s’adresser à une jeunesse européenne mise au défi des nouvelles mœurs, lesquelles se résument au nomadisme sexuel, migratoire, mercantile. Le paradoxe, c’est que plus les frontières s’effacent, plus on est assigné à des identités particulières. Quoi qu’il en soit, tout un discours feel good cherche à libérer les jeunes de toutes les formes d’affiliation et de filiation héritées de l’histoire.
L’identité n’est plus une bitte d’amarrage ; ce sont des amarres qu’on largue, sans savoir où l’on va, qui on sera. Le futur pape Paul VI, quand il était archevêque de Milan, disait déjà que l’homme moderne est comparable à quelqu’un qui, ayant quitté sa maison, en a perdu la clé et ne peut plus rentrer chez lui. Perdu, vraiment ? Ou jeté ? Depuis grosso modo un demi-siècle, nous sommes embarqués dans un grand huit sociétal dont les sinuosités vertigineuses ne cessent d’accélérer la course. Qui eût imaginé, il y a seulement dix ans, que la question "trans" acquiert une telle centralité dans le débat public ?
Militantismes destructeurs
Ce sondage Ipsos peut paraître anecdotique et même si les enquêteurs s’adaptent à l’opinion de leur commanditaire, savoir qu’« un jeune sur cinq appartenant à la “Gen Z” se définirait queer" laisse pantois. L’emploi du conditionnel ne suffit pas non plus à rassurer une institution qui enseigne, via la Genèse, que l’irréductible différence homme-femme fonde l’humanité. S’il y a un sujet dont l’Église doit entretenir la jeunesse, c’est bien de son anthropologie, mot déjà compliqué pour l’élève ayant traversé le grand couloir désert de l’Éducation nationale. Quelle consistance donner à l’unité entre le corps, l’âme et l’esprit face aux entreprises de dislocation de l’humain ? Voilà un sujet de dissertation pour le pape François.
Être jeune, c’est être consumé par le feu de son idéal, en bien comme en mal, qu’il soit vrai ou faux.
Depuis que le thermomètre flambe, la presse italienne rebaptise Rome "Ville infernale". Gageons que la température baisse à l’automne, au moment du synode. Plutôt que de regarder le nombril de sa gouvernance et de s’échauffer là-dessus (ce qui n’intéresse pas les jeunes), il serait préférable de garder la tête froide et de lever les yeux sur les militantismes destructeurs auxquels la jeunesse est partout exposée. Et si le synode lui donnait la parole ? 40.000 jeunes Français vont voter à Lisbonne avec leurs pieds mais combien seront-ils à lever la main dans les assemblées synodales ? Si l’Église devait faire un nouvel aggiornamento, ce serait de rajeunir ses cadres, sa technocratie, de promouvoir ses généraux comme le faisait Napoléon sur ses champs de bataille. Cette idée n’est pas démagogique. Mais je sais la difficulté de sa mise en œuvre. Être jeune n’est pas qu’une question d’âge. Les petites vieilles en Stan Smith se croient jeunes et l’assument ; elles sont justes navrantes. Cédant au jeunisme, ces vieux-là renoncent à l’exemplarité, lui préfèrent l’effacement des statuts et des attitudes qu’ils imposent.
Le confort et l’idéal ne sont pas compatibles
Or la question de l’éducation est primordiale. Suis-je mû de l’extérieur ou de l’intérieur ? Être jeune, c’est être consumé par le feu de son idéal, en bien comme en mal, qu’il soit vrai ou faux. Hélas. Mais je préfère un vieux qui y croit à un jeune qui n’y croit pas ou n’y croit plus et qui, blasé, est revenu de tout sans jamais être parti. La belle phrase de MacArthur ne devrait jamais cesser de nous inspirer :
La jeunesse n’est pas une période de la vie, elle est un état d’esprit, un effet de la volonté, une qualité de l’imagination, une intensité émotive, une victoire du courage sur la timidité, du goût de l’aventure sur l’amour du confort. On ne devient pas vieux pour avoir vécu un certain nombre d’années : on devient vieux parce qu’on a déserté son idéal.
Aussi, même à 86 ans, le Pape est-il jeune. MacArthur rejoue à sa manière le film des deux cités d’Augustin. Le confort et l’idéal ne sont pas compatibles. L’un exclut le sacrifie, l’autre l’exalte. Comment orienter vers le bien l’instinct sacrificiel de la jeunesse ? Telle est la question. En clair : pour qu'elle ne sacrifie pas pour n'importe quoi.
Devenir ce qu’ils sont
Le fidèle catholique regarde l’Église comme le passeur de l’idéal auquel il aspire, c’est-à-dire une éternité en Dieu. Aussi lui délègue-t-il le soin de régner sur son intériorité, afin d’y faire toute la place à Jésus-Christ, Médiateur de cet idéal. Aucune autre institution n’étend à ce point ses commandements sur le sanctuaire de l'intimité et on comprend que cet empire, quand il est perverti par le cléricalisme, puisse engendrer la haine et l’irréligion. L’islam et le judaïsme procèdent par obéissance à la loi, ce qui est collectivement efficace mais s’avère aussi étouffant que superficiel et donc intimement friable. L’enjeu, c’est donc le sanctuaire de mon intimité. Qui va le posséder ? À qui vais-je en confier les clés ? Ce sanctuaire-là subit les assauts des idéologies du souci de soi, en apparence émancipatrices, en réalité prédatrices. Sur ce terrain de l’intimité, l’Église n’a aucune raison de partir battue. Elle détient les clés que tout homme en recherche peut lui-même tourner dans les secrets de sa propre serrure. Cette intimité se forme, se conquiert jeune, bien avant l’adolescence.
Bien des parents pressés ne savent plus quel discours tenir à leurs enfants — qu’ils exposent à toutes les influences via les écrans dont la gestion, reconnaissons-le, devrait être confiée à Tom Cruise, tant la mission paraît impossible. Incitons les jeunes à choisir leurs influences, pour peu qu’elles les aident à devenir ce qu’ils sont, et non ce qu’ils ne seront jamais. Les paraboles évangéliques parlent sans cesse du bon grain ou de l’ivraie, des épines ou de la bonne terre. Les grands choix dans la vie, finalement, sont toujours simples.