Dans sa vie, le frère Grégoire Requier a porté deux habits : le costume cravate et la robe de bure. Membre de la Fraternité monastique de Jérusalem depuis 2001, il est d’abord passé par l’entreprise avant d’embrasser la vocation monastique. De son ancien prénom Philippe, quatrième d’une fratrie de six enfants, il a grandi entouré de parents aimants et fervents pratiquants. "La foi a été un marqueur important de mon adolescence et de ma jeunesse. Ma relation à Dieu s’est progressivement personnalisée et j’ai eu cette grâce de la garder forte", témoigne-t-il auprès d’Aleteia.
Diplômé en 1984 d’une école d’ingénieurs à Tarbes, Philippe se spécialise en fabrication mécanique. "J’ai toujours aimé chercher à comprendre comment les choses fonctionnent, réparer… La curiosité est un de mes principaux traits de caractère." À 22 ans, Philippe part au Mali effectuer son service national au Ministère malien de l'industrie. Il y reste 16 mois. "Cela a été un dépaysement profond, la découverte d’un pan entier du monde, celui des pays pauvres. Ce désir de l’aventure m’a par la suite amené à beaucoup voyager, en Asie, en Afrique… J’ai aimé découvrir d’autres cultures, d’autres manières de vivre."
J’avais un désir d’infini dans mon cœur, quelque chose qui ne cessait de grandir. L’ennui, c’est que j’étais incapable de comprendre de quoi il s’agissait et donc comment y répondre.
En rentrant, le voilà embauché au sein du groupe EDF à Brest où, au gré de différents postes, il devient Directeur des Ressources Humaines d’une unité de 700 salariés. Bras droit de son patron, Philippe endosse avec joie ce poste à responsabilités. Au total, il passe quinze années au service d’EDF. "J’ai toujours aimé mon travail, jusqu’au dernier jour. Je n’ai connu aucune lassitude dans ma vie professionnelle, au contraire. J’ai toujours aimé faire grandir les autres, faire fonctionner une équipe pour la rendre plus forte qu’une simple somme d’individus."
Ce qui motive le frère Grégoire : la réussite collective. "Je suis habité par la conviction que la personne humaine est capable de tout dans l’extraordinaire ! C’est cela le management : favoriser la conjonction, afin que les gens puissent donner leur meilleur d’eux-mêmes."
Un désir d’infini insatisfait
Et pourtant, quelque chose n’était pas suffisant. "J’avais un désir d’infini dans mon cœur, quelque chose qui ne cessait de grandir. L’ennui, c’est que j’étais incapable de comprendre de quoi il s’agissait et donc comment y répondre", se souvient frère Grégoire. Progressivement, il se rend compte que les textes de l’Évangile qui lui parlent le plus sont ceux qui évoquent le pauvre. "J’ai ressenti un appel profond à me mettre au service des démunis, je me suis demandé comment les aider."
Je suis un moine, donc un homme de prière avant toute chose : même mon activité professionnelle a pour but la contemplation.
Philippe ne fait pas les choses à moitié. Il décide de prendre une année sabbatique et abandonne salaire, voiture et appartement pour devenir bénévole à l'association pour le droit à l’initiative économique (ADIE). Mais cela ne lui suffit toujours pas. Ou plutôt, cela ne suffit pas à la Providence… Au cours d’une veillée d’adoration, celle-ci se manifeste avec puissance à un Philippe en prière, dérouté. "C’était une expérience de Dieu si forte, avec une invitation tellement personnelle et concrète à me mettre à son service, que j’ai cru être fou. Je me suis dit : ça va passer ! Mais non. Ça ne me lâchait pas. Avec l’accompagnement d’un prêtre, petit à petit, j’ai senti que cet appel était confirmé. Plusieurs mois après, je me suis rendu compte que cet appel que j’avais ressenti n’était pas seulement d’aider les pauvres mais de le devenir moi-même."
En 2001, Philippe entre à la Fraternité monastique de Jérusalem à Paris, qui a la particularité de garder une ouverture au monde laïc et professionnel. Il y devient "frère Grégoire". Pendant deux ans, il maintient une activité professionnelle à mi-temps chez EDF, dans une antenne parisienne où il trouve un poste en animation d’activités et solidarité. À Vézelay, il devient supérieur de sa communauté, fonde un magasin monastique et devient le recteur de la basilique jusqu’en 2018.
L’entreprise, terrain fertile pour l’évangélisation
En 2021, frère Grégoire a le désir de monter son entreprise de coaching. "Je voulais faire une synthèse de mon expérience et la soumettre aux dirigeants des PME, afin de les aider dans leurs missions. Je me suis fixé comme objectif de pouvoir les accompagner, en ayant le désir que cela ne touche pas que des cadres chrétiens, mais des dirigeants qui veulent développer un supplément d’âme dans leur activité professionnelle."
Si son activité le passionne, frère Grégoire tient à remettre les pendules à l’heure. "Je suis un moine, donc un homme de prière avant toute chose : même mon activité professionnelle a pour but la contemplation. Rester aux prises avec les hommes me permet de voir comment Dieu agit. L’Esprit saint est à l'œuvre dans le mouvement du monde, dans ses entrailles."
C’est une certitude : l'entreprise est un terreau fertile pour l’évangélisation.
La vocation monastique effraie-t-elle ses potentiels clients ? "Pas le moins du monde, au contraire. Je ne me cache pas, les gens savent à qui ils ont affaire. S’ils viennent pour rencontrer un moine, c’est évidemment que la question spirituelle les travaille. Elle est même systématique. Je propose donc une anthropologie chrétienne du travail, compatible avec celle de la Bible et de la foi. Il faut prouver au monde que la vision chrétienne de l’Homme est pertinente pour aujourd’hui. Sans faire des cours de catéchisme, j’ai le devoir de témoigner de ma foi auprès des gens, dans leur univers, leur catégorie. C’est à moi de m’adapter et c’est ma joie de pouvoir être missionnaire sur ce terrain qui n’est pas le mien."
Des conseils aux catholiques qui travaillent en entreprise
Après sa riche expérience en entreprise, quels conseils le frère Grégoire donne-t-il à des dirigeants et salariés d’entreprises catholiques ? "Tout d’abord, surtout, se former, travailler votre foi. Nous sommes dans un monde où les chrétiens engagés sont minoritaires. Il nous faut du discernement ! La connaissance de la Bible, par exemple, est essentielle pour être capable de parler aux non-catholiques. Ensuite, ne pas avoir honte de votre foi, car elle est grande et belle, et elle est un moyen de trouver des solutions aux enjeux de notre temps. Enfin, se soutenir. Ne restez pas seuls ! C’est une certitude : l'entreprise est un terreau fertile pour l’évangélisation."