Il faut imaginer Jésus marchant sur les flots, un miracle survenu sur le lac de Tibériade au lendemain de la multiplication des pains et rapporté par l’évangéliste Matthieu avec une rare précision : Il fait nuit, le ciel est menaçant et Jésus a renvoyé la veille ses disciples sur les flots pour rejoindre l’autre rive alors que lui-même s’est retiré sur la montagne pour prier. Survint alors une tempête, un fort vent se lève et les éléments se déchainent contre la barque des disciples déjà éloignée de la rive… Dans ce contexte des plus tourmentés et alors que la nuit se termine, les disciples aperçoivent soudain Jésus les rejoindre… non sur la rive mais bien marchant sur les flots ! Stupeur et frayeur les saisirent alors, tous s’écrièrent : "C’est un fantôme" ! Jésus leur adresse dès lors ces mots symboliquement forts (Mt 14, 27) : "Confiance ! c’est moi ; n’ayez plus peur !"
La parole pourtant rassurante ne suffit cependant pas pour Pierre qui soudainement s’adresse à Jésus : "Seigneur, si c’est bien toi, ordonne-moi de venir vers toi sur les eaux." Jésus lui intime alors de le rejoindre, Pierre l’écoute et parvient miraculeusement à marcher sur les flots jusqu’à ce que constatant la violence du vent il prenne de nouveau peur et commence à s’enfoncer. "Seigneur, sauve-moi !", implore-t-il. Jésus lui tend alors la main et le saisit en lui disant : "Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ?" À peine remonté dans la barque, le vent tomba et les disciples se prosternèrent devant Jésus en confiant : "Vraiment, tu es le Fils de Dieu !".
La mise à l’épreuve de la foi
Ce miracle de Jésus marchant sur les flots souligne la force et la faiblesse de la foi des disciples, foi essentielle pour leur proche mission d’évangélisation… Jésus les éloigne de lui tout d’abord alors qu’il aurait pu les accompagner dans la barque, puis les met à l’épreuve par un signe manifestant sa divinité et son pouvoir sur les éléments en marchant lui-même sur les flots. Mais ce signe ne suffit pas, tout cela pourrait être le fait du diable ou d’un fantôme… Alors survient alors ce mot plein de sens de Jésus : "Viens !". Mais, cet appel pourtant adressé par Jésus demeure encore insuffisant pour que Pierre surmonte ses peurs car si le disciple parvient à faire quelques pas sur l’onde, il semble que cela soit grâce au pouvoir du Maître et non du sien. Il faudra un geste ultime, la main tendue, pour sauver Pierre de la noyade.
Ce miracle n’est pas sans rappeler le pouvoir de Dieu sur les flots lors de l’Exode en séparant les ondes en deux pour laisser passer les Hébreux à pied sec. Cet épisode dramatique et puissant préfigure les épreuves qu’auront à affronter les disciples, le courage et la foi dont ils auront besoin pour combattre l’adversité. Jésus guide encore une fois ses disciples vers la rive et le droit chemin, peu importe les éléments, préfiguration de la voie qu’aura à suivre tout fidèle pour accéder à la vie éternelle…
Pour saint Augustin, "afin donc de traverser cette mer, il nous faut être sur un navire, appuyés sur le bois. Et ce bois qui soutient notre faiblesse, est la croix même du Seigneur, dont nous sommes marqués et qui nous préserve des gouffres de ce monde. Les flots se soulèvent contre nous ; mais le Seigneur est Dieu et il nous vient en aide" (Sermon LXXV). La barque battue par les flots symbolisant l’Église à venir, les disciples doutant et Jésus qui par la suite sera présent en chaque fidèle notamment par le symbole de la Croix, tels sont les riches enseignements de ce miracle opéré par Jésus sur les flots.
Un thème de prédilection pour les artistes
Le Christ marchant sur les flots a été une constante source d’inspiration pour les artistes notamment pour le grand artiste italien, Giotto, au XIIIe siècle avec le thème classique de la navicella symbolisant l’Église primitive embarquant les pêcheurs munis de leurs filets pour la conversion des hommes. Ce thème sera repris à de multiples reprises également au siècle suivant notamment par le peintre florentin Andrea da Firenze avec cette admirable fresque située dans la salle capitulaire de l’église Santa Maria Novella de Florence et encore présente de nos jours. Cette œuvre puissante symbolise la société chrétienne sur les flots avec ses espérances et faiblesses.
Un thème récurrent que nous retrouvons également chez Lorenzo Veneziano au même siècle livrant une interprétation sensible, pleine d’humanité et de compassion avec ce geste du Christ empoignant avec amour un Pierre apeuré et à moitié englouti par les flots. C’est une version sensiblement différente que représentera le peintre suisse Konrad Witz au XVe siècle cumulant le miracle de la pêche miraculeuse et celui de Jésus – beaucoup plus hiératique et distant - marchant sur les flots sur les rives du lac Léman !