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L’érosion côtière, en Pays de Caux, n’est pas un phénomène nouveau et, dans le passé, des pans de falaises, des maisons, des villages même parfois, et des églises, ont disparu lors d’éboulements catastrophiques. Ainsi disparaissent en 1371 le bourg qui s’élève sur ce qui est aujourd’hui la Pointe de l’Éclat, son église du XIe siècle et son cimetière. De ce désastre, les survivants ne récupéreront qu’une statue de la Sainte Vierge, probablement connue sous le nom de Notre-Dame des Flots et très vénérée des gens de mer. L’image sainte est alors transportée à Sainte-Adresse, village qui domine l’estuaire de la Seine et la Manche. À l’époque, Le Havre de Grâce n’existe pas encore, ni son pèlerinage à Notre-Dame de Grâce et la Vierge de Sainte-Adresse s’impose, de ce côté du fleuve, comme la patronne des marins qui n’omettent jamais, avant de passer en haute mer, de la saluer dévotement. Plusieurs confréries, preuve de la dévotion locale, se placent, au XIIIe siècle, à Harfleur et Sainte-Marie de Nédelet, sous la titulature de Notre-Dame des Flots.
Le curé bâtisseur
Tout va très bien jusqu’à la Révolution qui, en 1791, ferme l’église Notre-Dame de Sainte-Adresse et fait disparaître la statue, sans pour autant étouffer l’affection des marins normands envers leur protectrice. Cette dévotion, dans les années 1850, le curé de Sainte-Adresse, l’abbé Duval-Pirou, la connaît bien. Lancée sous la Restauration par la duchesse de Berry, la mode des bains de mer a fait naître sur la côte normande une activité touristique florissante, Sainte-Adresse devient une station balnéaire où la haute société aime à se faire construire des maisons de vacances qui jouissent d’une vue imprenable sur l’estuaire. Ces gens ont de l’argent, ils sont souvent pieux. L’abbé Duval-Pirou, lui-même héritier d’une grosse fortune familiale, et doté d’un sens pratique imbattable qui l’incite, imperturbable, à louer les chaises de son église aux restaurateurs et tenanciers de bastringues afin d’engranger quelques recettes supplémentaires pour la paroisse et ses œuvres, décide de réaliser un vieux rêve : ressusciter le sanctuaire disparu de Notre-Dame des Flots.
Au sommet de la Pointe de Caux, fort raide d’ailleurs, il a repéré un terrain à lotir jouissant d’un panorama imprenable au-dessus de la Manche et de l’estuaire, l’endroit idéal pour réaliser son projet. Reste à lever les fonds qui permettront, le terrain acheté, de construire la chapelle. Le curé procède par souscription, annonçant, et il tient parole, qu’il paiera de sa poche la moitié des sommes nécessaires. On est en 1857. Deux ans plus tard, le 11 septembre 1859, date de l’ancienne fête patronale de Notre-Dame des Flots, la chapelle est construite, grâce à la générosité d’une soixantaine de donateurs dont les noms figurent sur une plaque, dans la sacristie. Faisant toujours preuve de sens pratique, le prêtre a négocié, pour la construction, à un prix concurrentiel, des pierres de récupération issues des chantiers de démolitions des murailles du Havre et de Vernon, que complètera de la bonne pierre de Caen toute neuve.
Une réussite esthétique
En 1861, le sanctuaire s’agrandit de deux chapelles, l’une, payée par l’abbé, où il sera enterré, placée sous l’invocation de saint Denis, l’autre, dédiée à saint Henri, offerte par la marquise de Silveiro, en mémoire de son fils mort prématurément et dont le gisant y sera placé. Deux tours à clochetons, destinées à jouer le rôle d’amers, le rendent parfaitement visible du large. Tout cela est l’œuvre d’un jeune architecte, Théodore Huchon, qui fera par la suite une belle carrière et conservera une tendresse particulière pour sa première construction. Ne jugeant rien assez beau pour son sanctuaire, l’abbé Duval-Pirou fait appel à un peintre en vogue, Doudet d’Austrives, qui le dote de peintures murales, et à un maître verrier, Théodore Bernard, qui crée les vitraux illustrant des scènes de la vie du Christ et de Notre-Dame.
Tout cela est d’un parfait bon goût et représente une authentique réussite esthétique. Plus étonnant encore, cette création, en fait artificielle, est adoptée d’emblée par la population locale, sans doute parce que l’abbé Duval-Pirou, qui connaît ses gens, n’a cessé de dire que le but premier de l’édifice est d’honorer la mémoire des marins perdus en mer et privés de sépulture. Très vite, les pêcheurs et leurs proches prennent l’habitude de monter à Notre-Dame des Flots, ce qui demande un sérieux effort tant la côte est raide, pour lui réclamer sa protection, ou la remercier de l’avoir accordée, comme en témoigne la collection d’ex-voto et de navires miniatures qui s’y amoncellent.
Le sauvetage du Mexico
La réputation du sanctuaire sera définitivement établie lorsque, le 16 février 1864, l’équipage du transport de troupes Mexico, retour de Veracruz, pris dans une violente tempête et drossé à la côte, près de s’y fracasser, fera un vœu à Notre-Dame des Flots s’il échappe au naufrage. À peine le commandant a-t-il exprimé cette promesse à haute voix que le vent tourne et pousse le Mexico vers l’Angleterre, où il abordera sans casse.