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Si les commentateurs parlent d’une "contre-offensive", cette expression n’est pas encore employée par les Ukrainiens. Question de prudence, car, si celle-ci devait échouer, ils pourraient ainsi évoquer le fait que la contre-offensive n’a pas encore eu lieu. Dans cette opération, la guerre militaire et la guerre informationnelle se croisent ; le choix des mots et des expressions est éminemment important.
Ruptures de fronts ?
Avec la guerre de mouvement reprend le brouillard de la guerre, qui empêche de voir clairement et sereinement le déroulé des opérations. Les Ukrainiens ne communiquent pas sur leurs pertes, ni sur leurs blessés ni sur leurs morts. Ces informations extrêmement sensibles sont bien évidemment camouflées. La défense russe est disposée sur six lignes de profondeur, nommées "Ligne Fabergé". Ce sont autant de défenses de fortins et de points d’appui que les troupes ukrainiennes doivent renverser pour pouvoir repousser les Russes. Or cela s’avère très coûteux en hommes et en matériels. L’usure des canons et des chars ainsi que le ravitaillement des munitions est un vrai problème pour les deux camps. Il ne s’agit pas, pour l’Occident, de donner des Caesars et des Léopards, encore faut-il être capable d’assurer la maintenance et le soutien logistique de ces matériels, certes très performants, mais aussi fragiles. Or, l’une des leçons de cette guerre c’est qu’il vaut mieux parfois préférer la robustesse à la haute technologie.
L’Ukraine joue son va-tout. Les Européens et les Américains ne pourront pas soutenir le pays indéfiniment. Les stocks de munitions se vident et les usines sont incapables de produire à une cadence qui permettrait le ravitaillement. Pour fournir l’Ukraine, la France a déshabillé ses garnisons ; elle ne peut guère faire plus. Le même argument peut être avancé pour la Russie, mais force est de constater que, pour l’instant, le pays tient et maintien son contrôle sur près de 20% du territoire ukrainien. Le mois de mai a été le mois le plus dense pour les frappes russes dans la profondeur ukrainienne. Preuve qu’en dépit des sanctions économiques, la Russie parvient à se ravitailler et à fabriquer les missiles nécessaires à ces frappes. Les deux camps tentent de provoquer la rupture de l’adversaire et de parvenir à son épuisement.
Guerre de renseignements
Les drones font l’actualité de cette guerre : entre gadget stratégique et utilité réelle, leur usage est compliqué. Pour les programmer et les guider, il faut disposer de renseignements fiables afin de toucher la bonne cible. Sans l’appui des Occidentaux, notamment des services de renseignement américains et anglais, les Ukrainiens ne pourraient pas toucher les cibles russes avec autant de précision et d’efficacité. Les drones effectuent en moyenne 4 à 5 vols avant d’être abattus. Les pertes ukrainiennes sont estimées à 300 drones par jour, ce qui finit par représenter une perte matérielle et financière très importante. D’autant qu’il y a parfois des problèmes de coordination avec des tirs fratricides des drones contre leur propre armée. Kiev a investi 500 millions de dollars pour s’équiper en drones, en faisant l’un des piliers de sa stratégie militaire.
Les États-Unis sont en train de vider des ressources stratégiques qui sont critiques pour leur sécurité et dont ils ont besoin pour maintenir leur rang en Asie. Il leur faudra du temps avant de reconstituer le matériel qui a été prêté et détruit, ce qui les fragilise si jamais ils devaient intervenir dans une autre zone. Ce qui est donné à l’Ukraine manque pour défendre Taïwan et la Corée du Sud. D’où la volonté aussi, chez les Américains, de finir au plus vite cette guerre pour se reconcentrer sur ce qui est pour eux fondamental, à savoir la lutte contre la Chine. La contre-offensive est un fusil à un coup. Annoncée depuis juin 2022, elle est condamnée à réussir. Pour l’Ukraine, il s’agit de porter le choc le plus dur possible pour faire céder Moscou, quand les Russes doivent se contenter de l’absorber et d’épuiser les troupes de Kiev. Une dissymétrie qui donne l’avantage au défenseur et qui contraint l’attaquant à toutes les audaces.