Rares sont ceux dont les œuvres perdurent plus de mille cinq cents ans après leur mort, fidèles de surcroît à leur vocation première. Landry, évêque de Paris sous le règne de Clovis II, au milieu du VIIe siècle, est de ceux-là, même si peu s’en souviennent. D’origine franque, comme l’atteste son prénom germanique, Lantéric, que le français adoucira en Landry, sort de l’ombre en 650, lorsqu’il est appelé au siège épiscopal de la capitale. Il doit avoir entre quarante et cinquante ans, puisque les chroniques le disent « né à la fin du règne de Clovis le Grand », et que celui-ci est mort en novembre 511. De sa jeunesse, l’on ne sait rien, sinon qu’il est entré tôt dans les ordres et s’y est fait remarquer par « la perfection de sa conduite et l’héroïcité de ses vertus ». Autrement dit, tous ceux qui le connaissent le tiennent pour un saint. Telle est d’ailleurs la raison pour laquelle le roi le place à la tête du diocèse parisien.
Voyant son troupeau sans pain…
L’une des tentations attachées de tous temps à l’épiscopat est d’y voir une fonction de prestige, donnant accès aux puissants, ouvrant une voie vers le pouvoir, et d’oublier que l’évêque est là pour enseigner et guider le peuple que Dieu lui a confié. Landry n’accepte pas la charge dans cette optique : il n’a rien à faire d’habiter un palais, dormir dans un lit de plumes, s’habiller de soie et festoyer chaque jour. Évêque, il ne change rien à l’austérité de son quotidien, tout donné au soin de son diocèse, à l’édification de ses ouailles et au soulagement des malheureux. Et le travail ne va pas manquer.
En 651, peu après son arrivée à Paris, une épouvantable famine frappe la région. Il faut alors peu de choses pour qu’une mauvaise récolte, des gelées tardives, la grêle, ou, au contraire, la sécheresse et la chaleur privent toute une population du strict nécessaire. Voyant son troupeau sans pain, Landry, suivant l’exemple des grands prélats qui, lors des invasions barbares, afin de racheter les captifs et soulager la misère ambiante, ont vendu les richesses de leur Église, et jusqu’aux vases sacrés, Landry se dépouille de tout afin d’acheter de quoi nourrir son peuple et l’empêcher de mourir de faim. Certains, dans son entourage, moins enclins à la générosité, froncent le sourcil ; ils n’ont encore rien vu !
Un hôpital, en bord de Seine
Il a fallu à Landry peu de temps pour mesurer l’immense misère qui l’entoure. Même en des années plus faciles, beaucoup de gens ne réussissent pas à subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille ; il faut les y aider. Il y a aussi toutes ces jeunes filles qui, faute de dot, ne peuvent se marier et tombent dans la prostitution ; afin de leur éviter ce sort, Landry leur constitue un pécule. Des pèlerins passent par Paris, en route vers les grands sanctuaires de la chrétienté ; ils sont souvent épuisés, malades parfois, sans ressources toujours puisque mendier en route fait partie de la démarche pénitentielle. Aucun lieu d’accueil ne leur est destiné. Et puis, et cela hante l’évêque, il y a tous les malades, plus ou moins graves, que personne ne soigne.
À Rome, cent cinquante ans plus tôt, une riche patricienne, Fabiola, pour expier le scandale donné de son divorce, pour le salut aussi de son second mari très aimé, dont la mort prématurée lui a brisé le cœur, a consacré sa fortune à la construction d’un hôpital, le premier d’Europe. Landry veut en ouvrir l’équivalent à Paris. Il en a trouvé le futur emplacement, en bord de Seine, ce qui lui vaut d’être placé sous l’invocation de saint Christophe, patron des passeurs d’eau et des voyageurs, preuve que l’établissement reçoit les pèlerins souffrants. Il existe toujours, sous le beau nom qui deviendra le sien au Moyen Âge : l’Hôtel Dieu.
Les miracles se multipleront
Ces chantiers caritatifs vident les coffres de l’évêché, à la vive irritation des mondains qui, dans son dos, traitent Landry de "prodigue" et l’accusent de ruiner son Église. Lui n’en a cure et d’ailleurs, la Providence, comme souvent en pareils cas, se charge de trouver l’argent nécessaire. La preuve en est que l’évêque, affligé de voir le sépulcre élevé sur la tombe de son premier prédécesseur, l’évêque martyr Denis, menacer ruine, prend les moyens d’y entreprendre des travaux de restauration d’envergure et d’y installer une communauté bénédictine qui fera en partie la renommée du sanctuaire. Landry, conscient de certaines dérives ecclésiastiques, prend même la précaution d’accorder à l’abbaye de Saint-Denis sa pleine autonomie en la plaçant hors la juridiction épiscopale.
Tout cela n’incitera guère les clercs plus soucieux des biens de ce monde que des trésors de l’Autre a beaucoup pleurer leur évêque, lorsque, au terme d’un bref épiscopat de cinq années, Landry s’éteint, le 10 juin 656. Il aura sa revanche posthume lorsque sur sa tombe, à Saint-Germain l’Auxerrois, les miracles se multiplieront par l’intermédiaire de son suaire et d’une de ses dents, lui conférant une réputation de thaumaturge qui ne se démentira pas jusqu’à la Révolution. Si elle épargnera une partie des reliques de Landry, la Terreur ruinera à un tel point l’église parisienne qui lui est dédiée qu’il faudra la raser en 1828. Aucune autre depuis n’a été placée sous son intercession.