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La vie d’un jeune vicaire à la campagne, au début du XIXe siècle, n’a rien d’une sinécure. Laminée par la Révolution, l’Église de France manque de prêtres et cette crise des vocations s’éternise. Les ordinations sacerdotales sont si rares dans la plupart des diocèses que les ordinands peuvent s’offrir le luxe de refuser les postes qui ne leur plaisent pas. Ce sont d’ailleurs toujours les mêmes : des paroisses rurales éloignées de l’évêché où le casuel est maigre, les chances de promotion inexistantes. Ceux qui acceptent ces postes sont des idéalistes, des purs, donnés à leur mission sacerdotale et qui rêvent de refaire la France chrétienne. Une tâche éreintante, décevante souvent, qui en découragera plus d’un…
Sillonner le pays en prêchant l’évangile
En arrivant à La Valla, un bourg du Forez, en août 1816, au lendemain de son ordination à Lyon, l’abbé Champagnat, originaire de la région, où il est né en 1789, sait ce qui l’attend : son quotidien sera rude mais, avec l’enthousiasme de la jeunesse, il est prêt à s’y donner de tout cœur. N’est-ce pas, d’ailleurs, le but qu’il s’est fixé l’année précédente, lorsque, avec deux de ses camarades de séminaire, les abbés Courveille et Colin, il a jeté les bases d’une "société de prêtres" dont le but sera de "travailler au salut des âmes par la mission et l’enseignement sous la protection de Marie" ?
Marcellin choisit de se vouer complètement à l’éducation de la jeunesse rurale.
L’idée est dans l’air du temps et, dès la fin de la Terreur, des prêtres, tel le père Coudrin ou le père de Clorivière, ancien jésuite qui sera l’une des chevilles ouvrières de la renaissance catholique postrévolutionnaire, mais aussi de nombreux laïcs, hommes et femmes, se sont donnés pour objectif de sillonner le pays en y prêchant l’évangile. Ils veulent dispenser à une génération coupée du catholicisme l’éducation religieuse qu’elle n’a pas reçue. Tout cela s’accompagne de prières, sacrifices, pénitences afin d’expier les crimes et profanations commis durant ces années sanglantes. Rien de très original dans la démarche de ces jeunes gens, donc, mais la preuve de leur bonne volonté et du sérieux d’un engagement que l’abbé Champagnat a renouvelé, en juillet 1816, devant Notre-Dame de Fourvière.
La rencontre avec Jean-Baptiste
La réalité du terrain, même si Marcellin Champagnat s’y est préparé, se révèle cependant difficile. Certes, le Forez n’est pas la région la plus déchristianisée de France, mais la pratique religieuse s’y est étiolée, perdue parfois ; les idées des Lumières ont peu ou prou contaminés ceux qui savent lire, moins nombreux qu’autrefois d’ailleurs car, si la République a détruit les écoles catholiques, elle a été incapable de les remplacer, fabriquant ainsi une pleine génération d’analphabètes… Tout de suite, l’abbé Champagnat s’est mis à l’ouvrage. Son curé lui a confié le catéchisme, et le soin de visiter malades et mourants, besognes astreignantes volontiers abandonnées aux vicaires. Marcellin passe donc beaucoup de temps, en cette époque où la mortalité, pour longtemps encore, reste forte, à arpenter les pentes du Mont Pilat, de jour comme de nuit, afin de porter les derniers sacrements à ceux qui les demandent, et même parfois à ceux qui ne les demandent pas mais qui en ont besoin.
Le 28 octobre 1816, l’abbé Champagnat est appelé au chevet d’un très jeune homme, Jean-Baptiste Montagne, à peine âgé de 17 ans, qui se meurt. Il ne le sait pas encore mais cette visite va changer définitivement sa vie. Jean-Baptiste est encore conscient, assez lucide pour que le prêtre puisse s’entretenir avec lui, et cette conversation le laisse consterné. Le garçon, chrétien au moins par le baptême, n’est pas de mauvaise volonté mais d’une ignorance absolue en tout ce qui concerne la foi. Il ne sait strictement rien du Christ, ni des devoirs d’un chrétien ; il a grandi et vécu comme un païen. Et, sans l’abbé Champagnat, il mourrait comme un païen. Marcellin sort de cette catéchèse dispensée in extremis bouleversé. Pour un Jean-Baptiste Montagne repêché à la dernière minute, combien d’autres sont voués à la perdition faute d’avoir jamais rencontré un prêtre qui leur dise les vérités chrétiennes et qui surtout, leur parle de l’amour divin ? Il le dira plus tard à ces fils spirituels : il lui sera désormais impossible de rencontrer un enfant sans vouloir lui dire que Dieu l’aime.
Sa véritable vocation
Maintenant, Marcellin sait qu’elle est sa véritable vocation. Tandis que son ami l’abbé Colin, fidèle à leurs mutuels projets de jeunesse, fonde, en 1822, les Pères maristes, que le pape Grégoire XVI détournera en partie de leur rôle premier en les envoyant évangéliser l’Océanie, Marcellin, tout en devenant lui-même membre de la Congrégation, choisit de se vouer complètement à l’éducation de la jeunesse rurale et fonde, en s’inspirant des Frères de la doctrine chrétienne, les Petits Frères de Marie, ou frères maristes, pour l’éducation des enfants de la campagne. L’entreprise lui vaudra bien des déconvenues, des souffrances, des trahisons, des jalousies mais, lorsque Marcellin Champagnat, atteint d’un cancer, s’éteint, le 6 juin 1840, dans la maison-mère de Saint-Chamond, il a rassemblé autour de lui 280 frères, fondé 48 écoles et scolarisé plus de 7.000 garçons. Eux, au moins, sauront que Dieu les aime.