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Lorsque je rencontre un patient (en fin de vie ou non) qui souhaite mourir et qu’il me confie ses idées suicidaires, des angoisses massives ou des pulsions destructrices, mon travail de psychologue est de l’accompagner, d’être là de manière inconditionnelle, d’entendre et d’identifier avec lui ce qui fait souffrance pour tenter de le transformer. Ce chemin, parfois long, est celui que nous faisons avec tous nos patients. Bien sûr, les situations de personnes en fin de vie sont bien spécifiques : on ne peut nier la perspective de la mort "réelle", qui fait effraction et obstrue l’avenir. Cependant, la détresse qui est à l’œuvre semble similaire à celle observée dans toute crise suicidaire, lorsque la volonté de mourir répond à l’incapacité d’affronter ce qui est à l’œuvre : la honte, la culpabilité et l’angoisse de la mort elle-même. En fin de vie, il s’agit d’affronter le cortège de souffrances associées qui sont omniprésentes : séparation avec les proches, disparition et possibilités de transmission, peur de l’agonie et de la douleur.
La voie du soin de la souffrance
Aujourd’hui, le patient qui demande à mourir connaît le cadre législatif. Il est conscient qu’il évoque un acte interdit. Il s’adresse à un tiers qui a pour mission de soulager, d’accompagner et de ne pas abandonner. Celui qui demande la mort ne fait pas un choix : il est acculé et persuadé qu’il n’existe pas d’autre solution pour être soulagé. Il s’adresse à un soignant, il attend que sa demande soit entendue et qu’elle transforme sa situation. Chaque soignant recevant une demande de mort souhaite plus que tout mettre un terme à cette souffrance. Il est embarqué et pris dans ce pacte dont il ne peut s’extraire. Ce pacte est celui du non-abandon : "Je sais à quel point vous souffrez, j’ai compris que vous préférez mourir que poursuivre votre vie dans ces conditions, nous devons trouver comment vous soulager." Cela devient impératif et implique personnellement celui qui écoute.
Il y a une quarantaine d’années, dans ces situations de détresse, les médecins n’avaient que deux solutions face à ces demandes de mort : laisser souffrir pour ne pas tuer ou administrer des cocktails lytiques, avec ou sans le consentement des proches. C’est face à cette situation inconcevable que les soins palliatifs sont nés, dans la décision de ne pas abandonner les patients, de ne pas les laisser souffrir, et de trouver une troisième voie : soulager et refuser à la fois l’acharnement thérapeutique et l’euthanasie. Il s’agit bien du soin, de ce qu’on appelle le care : prendre soin à l’endroit de la vulnérabilité, apaiser la souffrance. Bien sûr, envisager de répondre au patient par un accès au suicide assisté ou à une euthanasie pourrait sembler résoudre le problème : arrêter définitivement la souffrance. Mais il en rajoute un de taille, indissociable, c’est que la vie du patient s’arrête également. Il n’y a donc pas que la souffrance qui disparaît. C’est à cet endroit précis, dans l’intention d’arrêter la vie de l’Autre, que se loge une réalité à éprouver par chaque soignant, une source de souffrance qu’il faut envisager à sa juste valeur. Non ce n’est pas si simple !
La protection de l’interdit
Les sociétés humaines sont structurées à partir de trois interdits fondamentaux que sont le cannibalisme, l’inceste et le meurtre. C’est bien à ce dernier que nous avons à faire lorsqu’un médecin ou un soignant détient le pouvoir de prescrire ou d’administrer un produit létal. J’ai entendu de nombreux témoignages d’infirmiers ayant posé des cocktails lytiques encore meurtris de leurs gestes. Après des années, ils tentent encore de raconter ces épisodes de leur vie ayant laissé des traces psychiques traumatiques. Le soignant recherche toujours l’arrêt de la souffrance de son patient, et dans cette mission il est parfois pris par des désirs de mort. Mais aujourd’hui, en France, il est encore protégé par le cadre légal qui lui interdit de l’administrer. Et c’est cet interdit qui lui permet de continuer à soigner en créant des alternatives à ce passage à l’acte. C’est également cet interdit qui lui permet de rencontrer un nouveau patient sans se demander s’il aura, ou non, à passer à l’acte à nouveau.