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Le Christ aujourd’hui nous promet l’Esprit saint. "Je prierai le Père et il vous enverra un défenseur [en grec un “paraclet”) qui sera toujours avec vous, c’est l’Esprit de vérité" (Jn 14, 16). Ce faisant, la liturgie tourne nos regards déjà vers la Pentecôte, le don de l’Esprit. Et saint Pierre nous dit dans la deuxième lecture que c’est l’Esprit qui donne la vie (1P, 3). Le Christ a été mis à mort dans la chair, mais vivifié dans l’Esprit. La fête de Pâques, la résurrection du Christ nous tourne donc vers la fête de la Pentecôte, le don de l’Esprit. Et si nous sommes devenus chrétiens, disciples du Christ, c’est pour nous laisser conduire par l’Esprit.
Un souvenir de scout marin
Reconnaissons-le, c’est parfois un peu confus dans la tête des chrétiens : comment reconnaître dans ma vie (et dans la vie de l’Église, et dans la vie du monde) ce qui vient de l’Esprit et ce qui vient de Jésus ? Et pourquoi aurions-nous besoin de l’Esprit ? Après tout, nous sommes chrétiens, cela vient de "Christ", alors que vient faire le Paraclet, l’Esprit saint ? Nous ne sommes pas paraclétiens ! Et qui est-il ce Paraclet ? Jésus répond à cette dernière question en nous disant : "Je prierai le Père de vous envoyer l’Esprit" (Jn 14, 16). Il vient donc du Père, à la demande du Fils. Nous disons dans le credo, qu’il procède du Père et du Fils.
Pour bien comprendre, permettez-moi de vous rapporter un souvenir d’adolescent. J’étais jeune scout marin. Nous nous tenions sur la cale d’un des ports de Plougastel, il y avait une petite brise légère et en face de nous, au mouillage, les grandes baleinières qui nous attendaient. Le chef s’appelait Philippe, comme dans la première lecture, dans les Actes des apôtres. Il nous a transportés en zodiac jusqu’aux baleinières. Les scouts plus expérimentés nous ont donné les consignes, pour apprendre à larguer les amarres, à mettre les avirons à poste, à capeler un gilet de sauvetage, à repérer les bouées rouges et vertes du chenal… et puis nous sommes sortis du port à l’aviron. C’était extraordinaire pour le gamin que j’étais, même si les grands avirons de bois étaient lourds à manier, avec leur 6 ou 7 kilos, dans mes bras de 12 ans. C’était extraordinaire parce que nous étions sur l’eau.
Moi, le fils de paysan, né sur la terre, habitué à grimper aux arbres, je me déplaçais sur l’eau, je pouvais voir les poissons, les mouettes. Je formais un équipage avec d’autres. Je voyais la côte qui défilait, j’apprenais à lire les nuages… bref, j’étais le même mais j’avais changé de monde. Et voilà qu’une fois sortis du port et de l’anse, les chefs ayant vérifié que nous avions bien le bateau en main, nous ont fait hisser les quatre voiles de cette baleinière à deux mâts. Et là, ce fut un second changement : le bateau avançait sans effort. Nous avons pu ranger les lourds avirons de bois et nous nous sommes laissé porter par le vent. Bien sûr, cela supposait une tout autre attitude : il fallait deviner d’où vient le vent, pour avancer avec lui et non contre lui. Il fallait adapter la voile au vent, prendre un ris parfois, régler les écoutes pour que la voile ait la bonne forme, pas trop plate, pas trop creuse. C’était très différent, sans que rien de ce qu’on m’avait appris avant ne soit changé : j’étais toujours sur le bateau, avec mon gilet de sauvetage, les règles de sécurité n’avaient pas changé, les balises rouges et vertes étaient toujours les mêmes.
Devenir chrétien conduit à la joie
Vous aurez reconnu là, j’imagine, la vie chrétienne. Le psaume de ce jour nous invite à témoigner de ce que Dieu a fait pour nous. Or l’histoire de cet après-midi en mer est pour moi exactement le récit des Actes de apôtres, dans la première lecture. La première étape c’est d’être sur le quai et d’avoir le désir d’embarquer. C’est l’histoire de ces foules de Samarie qui entendent parler de Jésus, qui voient les miracles de Philippe, l’un des diacres. Elles ont le désir de changer de vie, d’une vie surnaturelle. Alors Philippe va les prendre sur son zodiac : il va les faire passer à travers l’eau du baptême pour en faire des chrétiens. Et là ils vont apprendre à vivre avec le Christ, à suivre l’enseignement de Jésus. Ils vont apprendre à prier, à pardonner à leurs ennemis, à donner à ceux qui ont faim, à se rassembler pour louer Dieu. Et nous dit le récit des Actes : « Il y eut dans cette ville une grande joie » (Ac 8, 8). C’est une constante des récits d’évangélisation dans les Actes : annoncer l’Évangile conduit à la joie, devenir chrétiens conduit à la joie. Et je peux vous assurer que pour nous aussi, il y avait une grande joie. Et ces nouveaux chrétiens de Samarie seront l’Église, une communauté chrétienne, une famille, comme nous étions un équipage, soudé et heureux (avec quand même quelques occasions de nous chamailler).
Bien sûr, il y a des épreuves quand on veut vivre avec le Christ, parce que nos repères ne sont plus les mêmes. Il faut suivre les bouées du chenal, il faut respecter les commandements. Il n’est pas toujours facile d’aimer son prochain. Pardonner cela nous prend aux tripes. Prier pour ceux qui nous haïssent c’est loin d’être évident. Mais comme le dit Pierre dans la deuxième lecture « mieux vaut souffrir en faisant le bien qu’en faisant le mal » (1P 3, 18). Mieux valait pour nous, nous faire des ampoules en ramant que de rester nous disputer à terre… ou pire s’ennuyer dans sa chambre. Et puis il y a tant de choses à découvrir dans la vie chrétienne.
Le don de l’Esprit saint
L’histoire des Actes des Apôtres ne s’arrête pas là. Les apôtres, les chefs de l’Église apprennent que les Samaritains sont devenus chrétiens, qu’ils ont accueillis la Parole de Dieu (au passage, demandons-nous quelle place à la Parole de Dieu dans notre vie quotidienne : comment est-elle notre force ? notre guide dans notre semaine ? dans notre journée ? quelle place lui donnons-nous ?). Alors ils vont envoyer Pierre et Jean pour leur imposer les mains et les Samaritains reçoivent l’Esprit saint.
Le don de l’Esprit change tout dans la vie chrétienne. Il est le souffle, c’est le sens de son nom, pneuma en grec (comme dans "pneumologie" en médecine pour les poumons), spiritus en latin (comme dans "respiration"), qui veut dire "souffle". Il est le vent dans nos voiles, celui qui nous porte bien plus loin que nous n’aurions pu aller avec nos propres forces. Dans mon histoire, la barque c’est le Christ. L’équipage, c’est l’Église. Le vent c’est l’Esprit. Si nous sommes dans le Christ, si nous aimons le Christ, si nous sommes unis à l’Église, alors vient le moment de recevoir l’Esprit saint. Le Christ nous le dit : pour recevoir l’Esprit Saint, il faut d’abord aimer le Christ : si vous m’aimez, si vous gardez mes commandements, je prierai le Père et il vous enverra le Paraclet. On ne peut pas hisser la voile, si on n’est pas d’abord embarqué sur le voilier.
Recevoir l’Esprit saint, ce n’est pas renoncer à la vie chrétienne, c’est au contraire la vivre à fond. Certains opposent les règles de l’Église avec le souffle de l’Esprit… mais lorsqu’on hisse la voile, les règles ne sont pas changées. Les commandements ne sont pas changés, la liturgie avec ses règles n’est pas supprimée, le frère est toujours là pour que je l’aime, et celui qui me déteste a toujours besoin d’être aimé et pardonné. Mais je vais vivre cela, porté par le souffle de l’Esprit. Et si embarquer avec le Christ, c’est le baptême, qui nous fait passer par l’eau, hisser la voile c’est la confirmation, le sacrement donné par l’Église, par les Apôtres que sont Pierre et Jean, par leurs successeurs que sont les évêques, pour que nous puissions accueillir les dons de l’Esprit.
Nous laisser conduire
Mais il ne suffit pas d’hisser la voile pour avancer… encore faut-il bien régler sa voile, s’ajuster au vent, accepter d’aller là où le vent nous emmène et non pas là où je voudrais aller. Aller contre le vent c’est se fatiguer en vain. Il nous faut accepter de nous laisser conduire par l’Esprit. Lui seul sait la route qui est bonne. Il faut accepter de nous ajuster à lui. Voilà pourquoi il est bon, régulièrement dans notre vie chrétienne, de pouvoir nous laisser renouveler par l’Esprit. La fête de la Pentecôte cette année nous est offerte pour que nous prenions pleinement le vent de l’Esprit. Pendant les deux semaines qui nous préparent à la Pentecôte, demandons au Seigneur la grâce de recevoir vraiment l’Esprit Saint. Invoquons-le. Appelons-le, sur nous, sur nos familles, sur nos paroisses, sur notre Église et sur le monde. Demandons au Seigneur la grâce d’une nouvelle Pentecôte, qui transformera durablement notre vie chrétienne.
Le psaume dit "Écoutez, je vous dirai ce que Dieu a fait pour mon âme" (Ps 65, 16). Ce que j’ai à vous dire ce n’est pas la joie d’avoir fait du bateau quand j’avais 12 ans. Ce dont je veux témoigner, c’est ce que l’Esprit réalise dans ma vie de chrétien et de prêtre depuis que j’ai voulu laisser l’Esprit conduire ma vie. J’en ai chaque jour des témoignages extraordinaires… dans la vie ordinaire d’hommes et de femmes qui témoignent de la manière dont l’Esprit de Dieu a agi dans leur vie. Et cela dépasse les mots, car l’Esprit nous fait vivre de la vie même de Dieu le Père, par l’amour du Christ ressuscité.