Le Premier ministre hongrois Viktor Orbán, au pouvoir depuis 2010, est souvent présenté comme l’incarnation d’une droite "populiste" et anti-migrants, constituant l’antithèse des positions du pape François. Bien qu’ils se soient serrés la main à plusieurs reprises, notamment lors d’une audience aux chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne en 2017, les relations entre le Pape et le Premier ministre hongrois ont longtemps été notoirement froides.
Déjà venu à Budapest le 12 septembre 2021 pour la clôture du Congrès eucharistique international – une courte "escale" de quelques heures sur le chemin de la Slovaquie –, le pape François avait alors minimisé la portée de sa rencontre avec le chef du gouvernement, rencontré conjointement avec le président de la République de l’époque, János Áder. Dans l’avion de retour de sa tournée en Europe centrale, le Pape avait toutefois salué les politiques du gouvernement hongrois en faveur des familles et de la lutte contre "l'hiver démographique".
Un million de réfugiés ukrainiens
La deuxième visite du pape François à Budapest s’inscrit dans un contexte différent. Cette fois-ci, le Premier ministre Viktor Orban rencontrera bien le pape François en tête-à-tête vendredi en fin de matinée, après avoir été reçu au Vatican le 21 avril 2022. Le Pape avait alors salué les efforts de la Hongrie pour l’accueil des réfugiés ukrainiens, en fuite face à l’offensive russe. Au total, Budapest évalue au total à plus d'un million le nombre de réfugiés ukrainiens accueillis au moins temporairement, un chiffre considérable pour un pays d'à peine 10 millions d'habitants. Tout en s’engageant dans ce soutien humanitaire, la Hongrie s’est par ailleurs démarquée de ses alliés de l’Union européenne et de l’OTAN en refusant de soutenir militairement l’Ukraine et de couper les ponts avec la Russie.
"Certains accusent notre Premier ministre d'être l’esclave de Poutine, mais c’est absolument faux", explique l’ambassadeur de Hongrie près le Saint-Siège, Eduard Habsburg. Il précise que la population hongroise, marquée notamment par la répression du soulèvement de 1956, n’est pas russophile, mais que le gouvernement tente de maintenir des points de contact et d’équilibre avec Moscou afin d’éviter un embrasement général en Europe, suivant ainsi une position proche de celle du pape François.
Le positionnement de Viktor Orbán est aussi lié à une spécificité hongroise. "Nous avons 150.000 personnes de langue hongroise en Ukraine et nous suivons la situation de près", explique le diplomate. "Le nationalisme ukrainien est devenu plus fort ces dernières années et cela fait peur pour les minorités hongroises, que notre gouvernement cherche à défendre", précise le jésuite hongrois Zoltán Koronkai dans un entretien.
Tensions entre Kiev et Budapest
Les positions du gouvernement ukrainien ont en effet provoqué des tensions avec Budapest durant la décennie écoulée. "Depuis 2014, l’Ukraine a promulgué des lois qui limitent les droits des minorités. Ces législations ont pour but de créer une nation unie, et d’arrêter les Russes, mais cela touche aussi les Hongrois car il y a en Transcarpatie [ouest de l’Ukraine, ndlr] une minorité hongroise significative. Or l’utilisation de la langue hongroise devient plus difficile dans les écoles et les lieux publics", explique le jésuite.
Le Saint-Siège est attentif à ces spécificités peu présentes dans les médias internationaux, et converge également avec la Hongrie sur d’autres thèmes comme le soutien aux chrétiens persécutés au Moyen-Orient, ou la lutte contre l'idéologie du gender. Mais le Premier ministre n’entend pas pour autant instrumentaliser la présence du Pape en fonction de son agenda international. "Ce voyage du Pape sera une visite pastorale : nous prierons pour la paix, mais il n’est pas question d’une déclaration commune du pape François et de Viktor Orbán sur l’Ukraine, bien évidemment", assure l’ambassadeur.
Le pontife argentin, qui a effectué de nombreux voyages en Europe centrale et dans les Balkans (Slovaquie, Pologne, Lituanie, Lettonie, Estonie, Albanie, Bosnie, Grèce, Macédoine du Nord, Bulgarie, Roumanie…), continuera ainsi, en Hongrie, à manifester son attention à des terres marquées par les blessures de l’histoire. Au-delà de la personnalité et de l’orientation politique des dirigeants de ces pays, il entend ainsi faire infuser le message chrétien dans des populations traversées par des tensions et des contradictions inévitables, et les encourager à laisser la porte ouverte à la réconciliation et à la paix.