En béatifiant cinq prêtres massacrés "en haine de la foi", l’Église ne cherche pas la polémique avec les défenseurs de la Commune de Paris. Sa démarche est tout sauf politique, souligne notre chroniqueur, c’est un devoir de justice et de vérité.
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Ce samedi 22 avril, l’Église catholique béatifie cinq ecclésiastiques martyrisés pendant la Commune. Citons-les : Henri Planchat, prêtre de la congrégation de Saint-Vincent-de-Paul, Ladislas Radigue, Polycarpe Tuffier, Marcellin Rouchouze et Frézal Tardieu, quatre religieux picpuciens. Pour l’occasion, le Vatican envoie une de ses huiles sur le feu des passions françaises : Mgr Marcello Semeraro, préfet du dicastère pour la cause des saints. Le cardinal se déplace en personne pour célébrer la messe à Saint-Sulpice, la plus grande église de Paris. Gageons que des black blocs ne viennent pas gâcher la fête pour faire battre en retraite les Versaillais qui votent Emmanuel Macron et leurs suppôts calotins. Pourtant, sur ce dossier, le Saint-Siège a tout fait pour la jouer prudente car les maux gisent dans les mots : officiellement, l’Église va honorer les prêtres martyrs "de 1871 " et non "de la Commune", à l’image des martyrs "de septembre" (1792) préféré à ceux "de la Révolution française". Dater plutôt que nommer. Comment interpréter ce jeu de cache-cache sémantique ? Hasardons-nous à quelques pistes.
Catholicisme social
La plus évidente concerne la sécurité. On ne veut pas polémiquer, quitte à moins médiatiser l’événement. L’Église ne souhaite pas que les orages de grêle de la colère sociale s’abattent sur le paratonnerre sulpicien. On se souvient qu’en mai 2021, dans les rues de Ménilmontant (XXe arrondissement), des antifas avaient attaqué une procession en mémoire des martyrs catholiques de la Commune. Une autre raison, c’est que l’Église refuse d’être l’otage d’une seule mémoire, celle d’une République versaillaise bourgeoise et franc-maçonne. Car les prêtres martyrs n’étaient tout simplement pas les agents d’Adolphe Thiers. Interrogé par l’AFP, le père Yvon Sabourin, religieux de Saint-Vincent-de-Paul, souligne "le catholicisme social du père Planchat, son dévouement auprès des ouvriers et des plus démunis. C'est une fierté, ajoute-t-il, […] de montrer que des prêtres ont consacré leur vie à la jeunesse et aux milieux populaires". Il précise que les religieux sont morts "au cours" de la Commune de Paris et assure que "des milliers de Communards ont (aussi) perdu la vie".
En haine de la foi
Pour faire croire que l’Église est indécrottable, l’AFP sollicite l’avis d’Éric Fournier, enseignant à la Sorbonne. Cette béatification "à voix basse", juge-t-il, "montre un retour d'une mémoire cléricale conservatrice". Lors du centenaire de la Commune, "l'archevêque de Paris avait opposé un refus catégorique à l'extrême-droite qui réclamait une messe solennelle", argue-t-il. Laissons-là cet argument piteux. L’Église ne se droitise pas en reconnaissant que des clercs ont bien été massacrés en "haine de la foi". Car c’est bien le sens de la cérémonie de demain, laquelle oblige à juger l’événement auquel elle se rattache, même si la sagesse commande, pour des raisons sécuritaires déjà citées, de ne pas trop la ramener. Mais, après tout, au point où elle en est, que risque-t-elle de se montrer plus abrasive ? L’histoire et la justice le dictent. Contrairement à ce qu’indique l’AFP, les religieux ne furent pas exécutés, aucun verdict n’ayant été rendu. On s’acharna sur les corps, massacrés dans une grande confusion. Le père Planchat reçut huit balles mais aussi des coups de hache, de gourdin, et on y releva des fractures post-mortem. La chose la plus terrible serait de penser que malgré l’usure du temps, s’il fallait trouver quelque fanatique pour le refaire, il s’en présenterait.
Le paradis sur terre
Aussi, osons affronter la question du mal pour le mal, à l’heure où groupuscule rime avec sans scrupule. La Commune ne charrie pas que des idéaux de justice. Une lecture univoque et mythique fait oublier la résolution des courants les plus extrémistes : on ne peut bâtir un paradis sur terre si l’on ne cesse d’attendre qu’il vienne du Ciel. "Pour les chefs communards, il fallait extirper de l’esprit du peuple toute espérance surnaturelle, pour l’engager pleinement dans la réforme de ce monde", indique le père Stéphane Mayor, curé de Notre-Dame des otages, lieu du massacre du 26 mai. C’est une jeune fille, cantinière à la Garde nationale, qui tira dans la tête du Père Planchat. Puis elle se jeta sur le cadavre du Père Tuffier pour lui arracher la langue. Et les catholiques d’aujourd’hui qui ont la leur dans la bouche doivent maintenant s’en servir. Pour dire quoi ? Une seule chose, toujours et en tout lieu : n’ayez pas peur. Pas facile.